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assises dans toute la France, et choisis, soit parmi les membres de la Cour de cassation, soit parmi les conseillers d’Etat.

Treilhard, et avec lui des hommes éminens, voulaient à ce tournant de notre histoire judiciaire la constitution d’une telle magistrature ; mais un parti puissant, celui des Portalis et des Bigot-Préameneu, désirait au contraire un retour aux habitudes de l’ancien régime, aux compagnies nombreuses et oisives, distraites et aiguillonnées par les soins de l’avancement et par le goût des récompenses, devenant le contre de ces rassemblemens d’officiers de justice, qui absorbaient une si grande part de la vie et de l’activité nationales.

Peu à peu, et notamment en ce qui touche la fonction et le choix du président des assises, Bonaparte passa du camp de Treilhard au camp de ses contradicteurs. On allait arriver, par de curieuses gradations, de la conception de quelques grands juges ayant un caractère national, à l’idée d’un président fonctionnaire, extrait de compagnies nombreuses, désigné par l’exécutif ; et on allait arriver même à le désigner, non pas pour occuper son poste d’une façon permanente, mais bien pour y passer un trimestre, ou pour la durée d’une session, et peut-être en vue de telle affaire déjà prête et instruite, à lui personnellement réservée.

C’est entre 1804 et 1810 que l’on peut observer le début de cette évolution. Elle se fit en plusieurs étapes. Au début de l’Empire, on rêvait d’un « préteur » ; ensuite on parut s’arrêter à un système plus modeste, mais encore libéral, et qui consistait à faire nommer le président d’assises par la Cour d’appel. L’Empereur et ses conseillers voulaient à ce moment animer d’un souffle de vie et de liberté les compagnies nouvelles, leur laisser une assez grande initiative. Ces idées, sitôt abandonnées, ont encore leur reflet dans certains textes, qui subsistent dans nos codes, intacts et délaissés.

Mais, dès 1808, des intentions moins libérales succèdent à ces vues. Cambacérès déclare « qu’il serait nécessaire de régler le mode d’après lequel la Cour impériale nommera le président des assises ; qu’un scrutin secret serait peut-être une opération trop longue ; qu’au surplus, on peut renvoyer ce point à la loi organique. » On allait aviser à faire un fonctionnaire du juge criminel. Lors de la discussion de la loi du 20 avril 1810 sur l’organisation judiciaire, on éleva des objections sans nombre contre le choix des présidens d’assises laissé à la disposition des Cours ; c’était, dit M. de Noailles, « livrer ce choix à l’intrigue. » Combien il serait plus sage de le remettre au premier président ! Cela fut convenu, mais on fit observer que le premier président