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Les Italiens ont fait du négus Johannès un portrait peu flatté. Ils l’ont dépeint comme un personnage faux, cruel, plein de jactance, et atteint d’alcoolisme chronique. Mais il y a une chose qu’ils n’ont pu lui contester : son courage personnel et son esprit de décision. Furieux de voir les Italiens ne pas observer les conventions intervenues, le négus retint prisonnière la mission Salimbeni que ces derniers lui avaient envoyée et demanda que les troupes italiennes évacuassent tous les points occupés en dehors de Massaouah. La réponse ayant été négative, le ras Aloula, gouverneur du Tigré pour le compte du négus, vint prendre position au sud de Saati, occupé par les Italiens.

Le 25 janvier 1887, la position fut attaquée et le ras Aloula repoussé. Le lendemain, une colonne commandée par le colonel de Cristofori se portait au secours de la garnison de Saati. Arrivé à peu près à mi-chemin de Massaouah et de Saati, à l’endroit nommé Dogali, elle fut, vers les 8 heures du matin, attaquée à l’improviste par les troupes du ras Aloula dont l’approche avait été cachée par les collines voisines. Au bout d’une demi-heure, les mitrailleuses encrassées ne purent fonctionner. Cristofori demanda du secours à Massaouah. Mais les munitions ne tardèrent pas à manquer. Un combat eut lieu à l’arme blanche. Cernés par d’innombrables ennemis, les Italiens succombèrent. Pas un seul n’échappa au désastre pour apporter à Massaouah la nouvelle de cette hécatombe. Quand, le lendemain, les renforts demandés par l’infortuné Cristofori furent arrivés sur le lieu de l’action, les troupes italiennes eurent sous les yeux un spectacle inoubliable. Les Abyssins avaient enlevé leurs morts, et l’on voyait, dans leur position de défense dernière, tous les Italiens tombés en ordre et leurs cadavres comme alignés. Dans la lutte corps à ‘corps, aucun n’avait reculé. Tous avaient succombé à leur place de bataille. C’est à peine si, de ce monceau de morts, on put retirer un officier et 90 soldats encore à demi vivans.

Les Abyssins furent tout étonnés de leur victoire. Le ras Aloula n’osa pas poursuivre ses succès et, au lieu de marcher sur Massaouah, il se retira dans l’intérieur du Tigré. Effrayé des pertes qu’avait fait subir à ses troupes la bravoure italienne, le négus Johannès demanda la paix en termes pressans. « Je ne suis pas coupable, fit-il écrire au gouverneur de Massaouah ; la faute en est à vous. Vous avez fortifié Vua et Saati qui m’appartenaient. Soyons amis de nouveau comme autrefois en restant chacun sur notre territoire. Je vous adresse cette lettre pour faire la paix. » Mais l’émotion produite en Italie avait été trop profonde pour que