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Terreur révolutionnaire, les crimes des « chauffeurs » royalistes à ceux des tueurs jacobins de 1793.

La gendarmerie désorganisée est impuissante à contenir l’audace de ces bandes. Dans la Haute-Garonne, c’est une armée entière, 16 000 hommes, marchant le drapeau blanc déployé, au cri de « Vive Louis XVIII ![1] » A Paris même, collision sanglante entre « chouans » et républicains, à l’occasion de la réunion de la société du Manège (24 messidor an VII-12 juillet 1799). Partout l’insécurité, la violence rendue plus hardie par l’impunité, le vol à main armée, le meurtre, un déchaînement de passions sauvages déguisées en représailles politiques, une sorte de retour à l’état de nature, les deux tiers de la France offrant le spectacle d’une ville prise d’assaut, mise à sac.

Contre ces excès, qu’il n’a su ni prévenir, ni châtier, le Directoire édicte une loi dite des otages, imprégnée du pire esprit de la Terreur, frappant sans pitié les innocens pour atteindre les coupables — loi aussi barbare que les mœurs à la répression desquelles ses auteurs la destinent. Et le jour même où il la promulgue, il lance au peuple français une proclamation dans laquelle « il jure de s’ensevelir sous les ruines de la République, plutôt que de souffrir qu’il soit porté atteinte à la liberté[2]. »

Ce peuple pillé, massacré, le gouvernement l’accable sous le poids d’une législation tracassière et oppressive. Loi de police, soumettant à des formalités sans fin tous les Français de passage à Paris et non domiciliés dans cette ville ; peines correctionnelles contre quiconque se servira de cloches pour appeler les citoyens à l’exercice d’un culte ; célébration forcée du décadi, interdiction non seulement de tout travail, mais même défense aux commerçans d’étaler leurs marchandises, ce jour-là, sur la voie publique (décembre 1797) ; rétablissement de la contrainte par corps en matière civile, « vieille loi barbare tombée jadis sous les coups de Robespierre et de Danton[3] » ; responsabilité des imprimeurs pour tous ouvrages sortant de leurs presses : pas une de ces mesures qui ne soit intolérablement vexatoire, pas une qui ait — comme la plupart des mesures tyranniques ou sanguinaires de la Convention — l’excuse d’être imposée par l’inexorable nécessité du salut public ; pas une, enfin, qui ne procède de l’esprit le plus contraire à ces larges et généreux principes de 1789, dont ose se réclamer l’hypocrisie de ce gouvernement.

Sous le poids de toutes ces misères, la vieille morale

  1. Voir Ernest Hamel, Hist. de la République sous le Directoire, p. 287.
  2. Id., ibid., p. 279.
  3. Ernest Hamel, ouvrage cité, p. 108.