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à l’égal des assignats eux-mêmes ; emprunt forcé de 600 millions ; augmentation des droits d’enregistrement et de timbre ; droit de passe sur les routes ; réduction de la dette publique au tiers pur une sorte de banqueroute de l’Etat : pas une condition sociale qui ne soit atteinte, brutalement lésée dans ses intérêts par les expédions désespérés d’une fiscalité aux abois.

Donc, Robespierre est mort, mais les procédés jacobins lui survivent. Rien n’est changé. Je me trompe ; il y a quelque chose de nouveau, un spectacle que ces jacobins détestés, que l’Incorruptible n’auraient pas toléré, et dont ils eussent avec raison lavé la honte dans le sang : la bande des agioteurs infâmes qui épie les réactions de ces mesures sur le crédit, qui guette les convulsions de la fortune publique, et, avec la complicité de certains hauts fonctionnaires de la République, dresse à grands coups de spéculations d’insolentes fortunes sur la ruine de tous. En sorte que ce peuple, si lourdement pressuré, n’a plus même comme autrefois dans sa détresse la consolation de se dire que c’est pour le salut de la patrie qu’on le réduit ainsi à la misère, puisqu’il sait, puisqu’il voit qu’une partie de cet or qu’on lui arrache reste aux mains de bandits, et puisqu’il reconnaît avec stupeur, au premier rang de ces bandits, quelques-uns des hommes — députés, ministres, Directeurs — qui le gouvernent. Ecoutez Mallet du Pan : « Nul pinceau ne peut rendre le tableau de cette capitale (Paris) où le pain ne se distribue que tous les deux jours, où chacun voit périr entre ses mains le signe représentatif de sa richesse, où la livre de chandelles coûte 200 francs (en assignats), où la population se divise en dupes et en fripons qui se volent eux-mêmes dans les poches, pendant que le gouvernement s’occupe à son tour de les voler. Une licence affreuse, plus de devoirs, de morale, d’honneur, de sentiment, de respect humain… Cette dépravation et cette misère répondent au gouvernement de la soumission du peuple[1]. »

Stofflet et Charette sont morts (25 février et 29 mars 1796) ; la Vendée est à peu près pacifiée par Hoche : et pourtant la guerre civile sévit toujours. Conjuré dans l’Ouest, le fléau reparaît dans le Midi, s’y installe, y prend, sous des formes diverses, le caractère d’une sorte de mal endémique. Routes infestées par le brigandage, pillage des caisses publiques, assassinats d’acquéreurs de biens nationaux, de fonctionnaires, de patriotes par les Compagnons du Soleil ou les Compagnons de Jésus : les excès de la Terreur blanche répondent dès la fin de 1795 aux excès de la

  1. Correspondance avec la cour de Vienne, t. I, p. 384.