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celui des prêtres scandaleux… Il n’est pas d’homme plus hypocrite et plus immoral que La Revellière ; la nature, en le rendant puant et difforme, semble avoir eu pour objet de mettre en garde ceux qui en approchent contre la fausseté de son caractère et la profonde corruption de son cœur[1]… » Nous ne nous portons pas garant des accusations de Carnot !

Lisez maintenant cette terrible déposition sur Barras : «… Il avait un mauvais ton dans la société et manquait de distinction… Avec une belle taille et une figure mâle, il conservait toujours quelque chose de cet air commun et hardi que donne la mauvaise société… Il a une grande aptitude à l’intrigue ; il y est infatigable… La fausseté et une dissimulation profonde, jointes à ses autres vices, n’avaient fait que se fortifier en lui avec l’âge. Au Luxembourg, il n’était entouré que des chefs de l’anarchie la plus crapuleuse, des aristocrates les plus corrompus, de femmes perdues, d’hommes ruinés, de faiseurs d’affaires, d’agioteurs, de maîtresses et de mignons. La débauche la plus infâme se pratiquait, de son aveu, dans sa maison… Le mensonge ne lui coûte rien, la calomnie n’est qu’un jeu pour lui. Il est sans foi, comme sans mœurs… Quoique brave comme soldat, il n’a aucun courage moral ; en politique, il est sans caractère ut sans résolution… Quoiqu’il eût toujours à la bouche le langage d’un patriote, et même celui d’un vrai sans-culotte, il s’environnait d’un faste extraordinaire. Il a tous les goûts d’un prince opulent, généreux, magnifique et dissipateur[2]… » C’est La Revellière-Lépeaux qui trace ce portrait de Barras : tant de fiel entre-t-il dans l’âme d’un théophilanthrope ! Le témoignage de l’honnête Gohier, un peu plus mesuré dans la forme, est au fond presque aussi sévère pour Barras[3]. Sieyès accuse Rewbell d’emporter des bougies dans sa poche au sortir des séances et colporte un méchant jeu de mots : « Ce monsieur Rewbell, il faut qu’il prenne tous les matins quelque chose pour sa santé[4]. »

Ainsi parlent les uns des autres ces hommes qui, de 1795 à 1799, ont été appelés à l’honneur de gérer ensemble les affaires de la France. Les observateurs ironiques des petitesses et des laideurs de la nature humaine ne manqueront pas de sourire au spectacle des sentimens naïvement dévoilés que se portent ces anciens collègues, si ardens à se traîner mutuellement dans la

  1. Carnot, réponse à Bailleul, cité par M. Ludovic Sciout dans son Histoire du Directoire, t. I, p. 422 à 425.
  2. Mémoires de La Revellière-Lépeaux, t. I, p. 337 à 340.
  3. Mémoires de Gohier, t. II, p. 326 à 333.
  4. Mémoires de Barras, t. III, p. 343, 344.