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même : « la vie intensive et expansive aboutissant à l’universelle solidarité. » Pareillement, l’Irréligion de l’avenir semblait d’abord une œuvre destructive ; en réalité, elle se terminait par un des plus beaux essais de synthèse philosophique et religieuse qu’on ait vus à notre époque. La destinée des mondes et de l’homme, telle que peut se la figurer, d’après les conclusions mêmes de la science, une philosophie « entreprenante et hardie », ne fut jamais mieux mise en lumière : c’était, au fond, une religion de l’avenir, toute philosophique d’ailleurs, purement morale et sociale, dont le jeune philosophe se faisait le prophète. Ses ouvrages annonçaient déjà une direction qui, de nos jours, est de plus en plus visible : je veux dire la direction sociologique, qui, — selon une pensée profonde d’Auguste Comte que lui-même n’a pas su réaliser,. — cherche dans la plus complexe des sciences, celle des sociétés, la révélation la plus fidèle des lois de l’univers et du vrai rapport des individus au tout. Faut-il rappeler la dernière partie de l’Irréligion de l’avenir et cette noble conception « d’une sorte de ligue sacrée, en vue du bien, de tous les êtres supérieurs de la terre et même du monde ? »

En ces dernières années, un courant nouveau s’est accentué dans la philosophie, qui remonte jusqu’à Lotze par l’intermédiaire de M. Renouvier et de M. Boutroux. Ce dernier, dans sa belle thèse sur la Contingence des lois de la nature à laquelle tout à l’heure nous faisions allusion, puis dans ses savantes leçons à l’Ecole normale et à la Sorbonne, a contesté le principe du déterminisme universel et essayé de montrer que les sciences positives laissaient subsister un fond d’indétermination radicale échappant à la connaissance. Une inspiration analogue s’est retrouvée dans le très remarquable travail de M. Bergson sur les Données immédiates de la conscience, où le domaine intérieur de la « pure durée » est mis en contraste avec le domaine extérieur de l’étendue. Ainsi a reparu, sur un terrain nouveau, la lutte du déterminisme et de l’indéterminisme. Un évolutionnisme étroit avait prétendu ramener le déterminisme à l’une de ses formes particulières, la forme mathématique et mécanique, c’est-à-dire, en somme, la forme matérialiste. Par là, le mental étant réduit au rôle de simple reflet, il semblait que toute explication radicale fût de nature matérielle. Contre cette usurpation du mécanisme, il était juste de réagir. Mais nous croyons, pour notre part, que jamais la philosophie ne pourra s’en tenir à l’idée vide de contingence, que la seule méthode légitime est d’opposer aux déterminations inférieures, non pas l’ « indétermination », mais des déterminations supérieures, enveloppant