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domaine fait la caractéristique du mouvement positiviste. A côté, la théologie et l’ontologie subsistent dans la première moitié du siècle, mais sans avoir devant elles le même avenir. La théologie lutte encore avec les Chateaubriand, les de Maistre, les Bonald, les Lamennais ; mais son influence va diminuant. L’action de la métaphysique individualiste, — représentée surtout par les éclectiques, — est peu profonde. Vigny compare le froid rationalisme d’alors à la lumière de la lune qui éclaire sans échauffer : « on peut distinguer les objets à sa clarté, mais toute sa force ne produirait pas la plus légère étincelle. » La philosophie qui, peu à peu, tendait à devenir dominante, c’était un positivisme surmonté d’agnosticisme. Réduction du transcendant à l’inconnaissable, de l’immanent à l’objet unique de la connaissance, telle fut l’œuvre de la première moitié du siècle. On finit par s’en tenir aux faits donnés et à leurs lois spéciales ; tout ce qui semblait « irréductible », du point de vue « statique » où les sciences d’alors étaient presque exclusivement placées, on le renvoyait à la sphère de l’inconnaissable : X.

Dans la seconde moitié du siècle, on cherche à réduire « l’irréductible » en passant du point de vue statique au point de vue « dynamique », en intercalant des moyens termes, des degrés, des phases insensibles entre les termes extrêmes qui semblaient à jamais séparés. C’est surtout la genèse des choses et leur développement qui attirent l’attention ; la plupart des progrès ont lieu dans ce sens, qu’il s’agisse des recherches concrètes ou des théories abstraites. La conception de Laplace se développe ; les nébuleuses irrésolubles apparaissent comme des mondes en formation ; le prétendu « firmament » devient une histoire visible et sa solidité se fond en fluidité. Les astres ont des âges divers ; étoiles et planètes représentent les stades successifs des formations cosmiques. Lyell explique l’histoire de la terre par l’action des mêmes causes que nous voyons aujourd’hui à l’œuvre. Enfin, dans le domaine de la vie, Darwin fait procéder les espèces les unes des autres. Dans la philosophie comme dans la science ne pouvait manquer d’apparaître l’idée nouvelle : celle de l’évolution. De là ce qu’on pourrait appeler un positivisme dynamique, où les discontinuités qu’Auguste Comte croyait définitives tendent à se changer en une continuité de développement. La seconde moitié de notre siècle est évolutionniste.

Auguste Comte voulait bannir toute hypothèse sur les origines des choses, sur leur essence, sur les causes premières et les causes finales, sur la réductibilité indéfinie des phénomènes, sur la transformation des forces, sur la transmutation des espèces ; il