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à poursuivre telles et telles améliorations ; mais l’union fondée sur une unité de doctrines serait autrement efficace. C’est par la théorie qu’il faut agir sur la pratique ; c’est d’une conviction morale que nous avons besoin, et par cela même d’une doctrine du monde et de l’homme.

Cette doctrine s’élabore progressivement. On a beau représenter la philosophie comme vouée aux dissensions perpétuelles, les systèmes, à mesure qu’ils sont poussés plus loin, se rapprochent et convergent. Quoi de plus éloigné, au premier abord, que le positivisme, issu de la métaphysique matérialiste, et l’idéalisme, issu de la métaphysique spiritualiste ? Cependant, si nous regardons plus loin que les apparences, nous voyons, de nos jours, le mouvement positiviste et le mouvement idéaliste tendre vers un même but, aspirer, pour ainsi dire, aux mêmes conclusions. La « synthèse objective » du savoir, que poursuit le positivisme, et la « synthèse subjective », que poursuit l’idéalisme, doivent elles-mêmes s’unir en une synthèse universelle. Il ne saurait y avoir, quoi qu’on en dise, de véritable divorce entre les résultats de la science positive et ceux de la philosophie.


II

Si nous remontons aux origines du mouvement actuel, nous constatons que le phénomène le plus marquant, dans la première moitié de notre siècle, avait été l’essor de la philosophie positiviste et humanitaire, provoqué lui-même par l’essor scientifique et social du siècle précédent. La marche rapide de la science, qui venait d’entrer en possession de ses véritables méthodes, le discrédit. parallèle de la théologie et de l’ontologie abstraite, semblaient ouvrir à l’humanité une ère où la science aurait l’hégémonie, où se poursuivrait sans limites le progrès des connaissances et de l’industrie humaines. D’autre part, la Révolution avait été une mise en pratique plus ou moins heureuse des conceptions nouvelles, l’idée de la « société » avait grandi en même temps que celle de la « science » ; il était donc naturel de concevoir dans l’avenir une application de la science même à la réorganisation de la société. Ainsi devaient se produire, puis se fondre en une seule les deux conceptions maîtresses du positivisme. Descartes, lui, avait déjà étendu le domaine de la science à la nature entière, mais non à la société humaine : il avait provisoirement mis de côté, avec la théologie, les sciences morales et politiques. L’extension de la science à tout ce qu’on avait exclu de son