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Or le verbe grec, de même que le verbe français comprendre signifie renfermer, tenir en soi, de même que, entendre, avoir connaissance. Ce que saint Jean veut dire, c’est que la lumière n’est pas partie des ténèbres, mais qu’elle a une autre origine. Les païens disent que tout est venu de Chaos, c’est-à-dire de la matière. La lumière, selon leurs théologiens et leurs physiciens, serait venue de la nuit, aurait été comprise dans la nuit. Saint Jean proteste contre le matérialisme et proclame la préexistence de l’esprit. J’ai été très fort dans mon temps sur la mythologie que j’ai étudiée avec une espèce de passion, et j’avais commencé un livre que j’ai laissé là, comme beaucoup d’autres, et qui vous aurait horrifiée. Je voulais trouver la loi de l’esprit humain qui lui fait inventer les mythes religieux, mythes très peu variés et qui tendent tous à obscurcir l’idée, déjà très difficile, d’un Démiurge, pour y substituer ce que les Grecs appellent un Cadmile, c’est-à-dire un médiateur. Si jamais vous avez la fantaisie d’apprendre le paganisme grec, je vous en ferai un petit cours en relisant mes notes. Les Grecs sont des enfans qui croient philosopher et qui font de la poésie. Mais en attendant, je prends acte de votre promesse d’un Evangile, et lorsque vous me l’aurez donné, je le ferai relier honorablement en maroquin, janséniste, comme votre Imitation. J’oubliais de vous dire que j’ai encore lu l’évangile de saint Luc en rommani, quand j’apprenais la langue des Bohémiens.

Je n’ai fait aucune démarche pour empêcher de brûler le poète dont vous me parlez, sinon de dire à un ministre qu’il faudrait mieux en brûler d’autres d’abord. Je pense que vous parlez d’un livre intitulé : Fleurs du Mal, livre très médiocre, nullement dangereux, où il y a quelques étincelles de poésie, comme il peut y en avoir dans un pauvre garçon qui ne connaît pas la vie et qui en est las parce qu’une grisette l’a trompé ! Je ne connais pas l’auteur, mais je parierais qu’il est mais et honnête, voilà pourquoi je voudrais qu’on ne le brûlât pas. Vous ai-je dit qu’on m’avait brûlé, moi, à Grasse, à la suite d’une mission, le carême passé. Probablement parce que pendant que j’habitais Cannes, je m’étais fait envoyer de Grasse de l’essence de cassie, ce qui avait révélé mon existence aux âmes dévotes de ce pays parfumé. Des gens bien informés m’assurent que Béranger s’est confessé. Je me souviens qu’autrefois nous avons souvent disserté des choses surnaturelles, et j’étais alors frappé de sa foi, non pas sans doute chrétienne, mais en un Dieu créateur et une âme immortelle. Il convenait que la démonstration du dernier point était bien difficile, mais il disait qu’il y croyait par la conscience. Cela se rapproche beaucoup de la foi, ce me semble. Je ne sais pourquoi vous me parlez mariage et miss. Peut-être vous