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prodigieux sur nos Français. C’est ainsi que César, qui n’avait jamais connu que des matrones romaines, perdit la tête lorsqu’il se trouva en présence d’une Grecque ayant l’esprit de la conversation, comme feu Cléopâtre. — Au sujet d’Amouna, observez, madame, que les paroles mêmes que vous rapportez tendent à prouver que le mot n’existait pas en hébreu, puisque Notre-Seigneur se sert d’une paraphrase. En grec, comme en latin, les mots qui traduisent Amouna, Pistis et Fides, sont tout à fait modernes, en ce sens. Et si j’osais vous dire une grosse impiété, je vous demanderais comment on qualifie de vertu une singularité de l’organisation (de l’idiosyncrasie dirait un pédant). Il me semble que toutes les fois que l’on fait un sacrifice pour un bien, il y a du mérite à cela. Par exemple la charité, l’amour du prochain est une vertu difficile quelquefois à pratiquer. Mais comment croire quand on n’y est pas disposé naturellement ? Un capucin qui avait la foi me disait à Rome : Nel tempo d’Escolapio ?… Il croyait à Esculape comme à saint Pierre. Il n’avait aucun mérite à cela. Don Juan qui ne croyait pas au « moine Bourru » et qui croyait seulement « que deux et deux font quatre » n’avait pas la foi ; mais, s’il eût été honnête homme, je pense que la statue du Commandeur y eût regardé à deux fois avant de l’emporter.

Sur Mme Récamier, dont vous me parlez, madame, probablement parce que je vous avais dit quelque chose d’elle, je crois qu’elle a dû son influence surtout à sa résignation. Elle était toujours prête à subir la personnalité de tous les lions. Elle ne s’ennuyait jamais ou elle n’en avait pas l’air. Les hommes ont continuellement besoin d’être remontés, comme les pendules. Il nous prend de temps en temps des défaillances, des tristesses, des ennuis, dont on nous tire en général par des complimens. On n’oserait dans ce moment-là s’adresser à un ami, parce qu’on a toujours un certain orgueil qui empêche de se montrer dans les momens de bassesse. Comme il n’y a pas de rivalité entre hommes et femmes, vous avez le triste privilège de nous consoler et de nous guérir. Mais je crains que vous ne considériez l’espèce masculine comme les médecins considèrent l’espèce humaine tout entière. Ils voient sous les plus belles peaux de vilaines humeurs, des abcès, etc. Mais heureux qui a un médecin !

Je croyais Mlle de F… mariée. Je l’ai vue il y a bien longtemps. Elle avait un profil un peu dantesque, et elle expliquait très bien le mérite de la sculpture du moyen âge ; à une époque où elle me plaisait sans que je me rendisse bien compte du pourquoi. Fait-elle toujours de la sculpture ? Je suis très sensible à ses louanges. Je suis obligé d’être à Paris ou dans le voisinage jusqu’à la fin d’août. Vous ai-je dit que pendant mon absence