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intellectuellement, je vivrai comme une huître. Cependant c’est à Madrid que demeure la meilleure amie que j’aie au monde, qui m’a toujours donné de bons conseils (que je n’ai guère suivis). Il y a plus d’un an que je ne l’ai vue et elle a été malade. Cela fait un cas de conscience qui m’embarrasse. Vous ne sauriez croire quelle terrible ville est Madrid. On dit qu’elle a un crochet, garabato, auquel les étrangers se prennent, et c’est très vrai. J’y ai fait toutes les bêtises possibles quand jetais jeune. J’y suis plus at home qu’en aucun lieu du monde, mais c’est Capoue pour quelqu’un qui est loin d’être un Annibal. Conseillez-moi donc un peu. Vous savez toutes les obligations que j’ai à Mme de M… ; ajoutez que je suis sûr de lui faire plaisir en allant la voir. Mais c’est impossible de travailler et même de penser quand on est à Madrid.

Adieu, madame, j’espère que vous aurez un heureux voyage. Je pense qu’avant que je sois libre de choisir un voyage, je pourrai vous écrire à Bologne poste restante.

Veuillez agréer, madame, l’expression de tous mes vœux et de tous mes respectueux hommages.

PROSPER MÉRIMÉE.


Mardi, 9 juin 1857.

Madame,

J’attendais toujours, pour répondre à votre aimable lettre, que je fusse en belle humeur, mais j’ai les blue devils, et si j’attendais qu’ils s’en allassent, je ne sais quand je vous écrirais ; je pars d’ailleurs demain pour Manchester, bien que je craigne un peu d’aller voir un humbug, mais il vaut mieux être attrapé que d’avoir des regrets. Vous me faites venir l’eau à la bouche en me parlant de Florence et du cicérone qui y sera vers le milieu de juillet. Malheureusement j’ai mes Grands capitaines à mettre en train, et j’ai promis à mon éditeur d’être à Paris au commencement de juillet. Si je puis me débarrasser de ces messieurs à temps, j’irai voir Florence, dussé-je y cuire. Je serai de retour à Paris vers le 25. De grâce, madame, donnez-moi votre itinéraire, et, si vous me permettez d’être impertinent, veuillez écrire en gros les noms de lieu comme si vous aviez affaire à un facteur bête. Vous me parlez d’un lieu que je lis tantôt X…, tantôt Z…, où vous êtes, mais il me semble que dans la fin de votre lettre vous me dites que c’est à Bologne qu’il faut vous écrire. Je vous adresse cette lettre à Bologne, persuadé que vous y êtes trop comme pour qu’elle s’égare.

En me donnant le petit oiseau, vous avez bien deviné, madame,