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M. le Président de la République ne s’y prêterait certainement pas. On a pu y recourir sous le 16 mai, parce qu’on était décidé à mettre au bout la dissolution de la Chambre et l’appel au pays : la tentative a d’ailleurs trop mal réussi pour être encourageante. Au surplus, nous parlons des bruits qui courent comme d’un symptôme de l’état des esprits dans les milieux socialistes, mais sans les prendre au sérieux. M. Bourgeois n’est pas homme à s’engager dans une entreprise aussi inconsidérée. Il a déjà par son attitude à l’égard du Sénat assez gravement faussé le jeu normal de nos institutions. Il a assez alarmé les intérêts. Il a jeté, assez d’élémens de discorde dans le pays. Le mieux pour lui est de chercher une occasion décente de tomber, et pour la Chambre de la lui fournir. Dès maintenant, le ministère est perdu. Il peut encore opérer des mouvemens de préfets et de sous-préfets ; il peut distribuer aux uns les faveurs administratives et les refuser aux autres ; il peut faire du mal ; mais du bien, même comme il l’a compris lorsqu’il a rédigé son programme, il ne peut plus en faire. À la merci du moindre incident parlementaire, il ne saurait prolonger longtemps son inutile existence. Il aura vécu un peu plus de quatre mois, ce qui est beaucoup, comme M. Mesureur avait droit de le constater à Châlons-sur-Marne ; mais il faut remarquer que les premières attaques sérieuses ont été dirigées contre lui il y a quinze jours à peine, et qu’il a déposé son budget en voilà huit seulement. Depuis lors, le temps n’a pas été perdu. Que restera-t-il de cette aventure ? Une démonstration utile, à savoir que la politique radicale ne peut désormais subsister en France qu’avec l’appui des socialistes, et qu’elle ne tarde d’ailleurs pas à en mourir. Ce n’est pas cette politique que M. Bourgeois voulait faire, ce n’est pas cette conséquence qu’il voulait prouver, et c’est pourtant ce qu’il a fait et ce qu’il a prouvé. Nous le plaignons sincèrement. Il a déployé de très heureuses qualités personnelles, et il vaut mieux que son œuvre. La logique des alliances et la fatalité de sa situation l’ont entraîné. Si l’expérience qu’il a tentée avait pu réussir, elle aurait réussi avec lui : à ce point de vue, elle a été complète et décisive, et nous aimons à croire que nul ne sera tenté de la recommencer de sitôt.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.