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rude pour le gouvernement. « La réponse parlementaire aux paroles et aux actes du cabinet pouvait, dit-elle, être de notre part un refus absolu de concours. Mais le Sénat ne veut pas suspendre la vie législative du pays, et malgré l’attitude du ministère, le Sénat n’entend pas renoncer à faire son devoir. Il entend maintenir l’intégralité de ses droits. Il statuera dans son indépendance et sans autre préoccupation que l’intérêt du pays, sur les propositions du ministère et lui demandera compte de ses actes. Le pays prononcera entre des ministres qui n’ont pas craint de provoquer la crise la plus grave et une assemblée qui, pour ne pas compromettre la paix publique, ne veut pas aggraver le conflit constitutionnel, bien qu’elle ait pour elle le droit et la loi. » Cette déclaration a été votée par une majorité de 124 voix. Le gouvernement joue, pour se sauver, de l’opposition artificielle qu’il a su créer entre les deux Chambres : si elles étaient réunies, n’ayant que 45 voix de majorité dans l’une et se trouvant en minorité de 124 voix dans l’autre, il serait battu dans toutes deux. La majorité de la représentation nationale est contre lui.

Il aurait dû se retirer. Tel était, paraît-il, l’avis de quelques-uns de ses membres, qui jugeaient la situation avec justesse : il se serait épargné par-là les désagrémens qui l’attendaient encore. Qu’importent, ou plutôt que devraient importer quelques jours de plus ou de moins à un ministère qui s’était annoncé comme un gouvernement d’action, qui avait promis de faire de grandes choses, qui avait excité tous les appétits, et qui se trouve irrévocablement réduit à l’impuissance ! De ses réformes, il n’en fera pas la moindre. Bien que la déclaration de M. Demôle affirme l’intention de statuer, sans autre préoccupation que l’intérêt du pays, sur les projets ministériels, il est hors de doute que le Sénat les repoussera tous. Aucune illusion n’est possible à ce sujet. Si le Sénat bat en retraite, comme le disent les journaux radicaux, ce n’est pas sans combattre encore, et, à en juger par le poids des projectiles qu’il lance sur l’ennemi, il faut croire qu’il n’est pas sur le point de désarmer. Le lendemain de la déclaration de M. Demôle M. Franck-Chauveau, en prenant possession de la présidence du centre gauche, prononçait un discours qui est bien le plus sanglant réquisitoire contre la politique jacobine et socialiste du gouvernement. Le morceau est long et développé, mais il n’en est pas moins vigoureux. Si les autres groupes sont animés du même esprit, et tout le fait supposer, le gouvernement aurait tort de croire à un modus vivendi possible entre lui et la haute assemblée. Le Sénat est un barrage qui arrêtera résolument tous ses projets de loi.

Mais aura-t-il à en arrêter beaucoup ? Est-ce désormais au Luxembourg que l’impuissance irrémédiable du gouvernement est destinée à se manifester ? N’est-ce pas plutôt à la Chambre même ? Cette Chambre qui a donné avec récidive au cabinet des majorités apparentes ne se