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absolument inconnu, — et qui cependant a joué, lui aussi, un rôle considérable dans l’évolution de sa littérature nationale. « S’il est vrai, dit M. Pypine, que cette littérature doive exclusivement à Gogol le ton réaliste qui en est le trait fondamental, c’est au poète Koltzof qu’elle doit surtout de s’être imprégnée du sentiment et de l’esprit populaires. » Et de fait ce Koltzof parait avoir tenu dans la littérature russe la même place que Robert Burns dans la poésie anglaise. Sorti directement du peuple, le premier il a révélé ce qu’il y avait de vie et de beauté dans l’âme du peuple : découvrant ainsi à ses successeurs une source d’inspiration où ils allaient s’empresser de puiser. Inférieur en perfection formelle à Pouchkine et à Lermontof, il les égale, aux yeux de l’historien, pour la quantité d’élémens nouveaux qu’il lui a été donné, d’apporter.

Sa vie fut triste et sans couleur, bien différente de la romantique existence des deux poètes ses rivaux. Il est né en 1809, à Voronèje, d’une famille de petits employés : lui-même avait à peine commencé de suivre les cours de l’école du district, qu’il se vit forcé d’interrompre ses études pour gagner sa vie dans d’obscures besognes. Le premier livre qu’il lut fut un recueil de fables : et tout de suite il eut la tentation d’écrire quelque chose du même genre. Puis ce furent les Mille et une Nuits qui l’émerveillèrent. Et quand le hasard lui mit entre les mains les poèmes de Dmitrief, il s’imagina, dans son ignorance de toutes les conventions littéraires, que des paroles régulièrement rythmées devaient toujours être chantées : et le voilà s’évertuant à trouver des airs pour ces médiocres poèmes. Enfin un libraire de Voronèje lui fit cadeau d’un traité de versification ; et un jeune écrivain, Serebrianski, s’offrit à lui corriger ses fautes de prosodie. C’est ainsi que Koltzof débuta dans les lettres.

Il publia en 1835 un petit recueil de vers, qui lui valut l’appui du fameux critique Bielinski. Celui-ci se prit même pour lui d’une admiration si passionnée qu’il ne cessa point depuis lors de le ranger au niveau de Pouchkine. L’humble bureaucrate, grâce à lui, se trouva célèbre : mais le seul profit qu’il retira de sa gloire fut d’être exposé à mille ennuis de la part de ses collègues et de ses chefs de bureau. Un séjour qu’il fit à Moscou, et une visite à Saint-Pétersbourg, où Pouchkine et Joukofsky le reçurent avec de grands égards, c’étaient — écrivait-il à Bielinski — les deux seuls événemens heureux dont il eût souvenir. Autour de lui, il ne trouvait que mépris et humiliation. El sa famille même le prenait si peu au sérieux qu’après sa mort son gendre Séménoff vendit au poids du papier tous les manuscrits qu’il avait laissés.

Les poèmes de Koltzof se divisent en trois groupes, dont chacun, suivant M. Pypine, « correspond à un degré différent de son