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tactiles comme les tentacules des silures actuels ; ce qui est certain, c’est qu’ils ont eu des enveloppes plus dures que dans les genres de notre époque ; cela indique un toucher plus obtus.

Chez la plupart des reptiles actuels, le sens du toucher est très imparfait ; jusqu’à preuve du contraire, nous pensons qu’il en a été ainsi chez les reptiles secondaires.

Les mammifères sont aujourd’hui les animaux dont le toucher a le plus de délicatesse. Mais, au début, cette délicatesse n’a pas été aussi grande que de nos jours. Cuvier a imaginé le nom de pachydermes pour les genres tels que les sangliers qui ont un cuir dur, soutenu par une épaisse couche de graisse ; ce sont en général des bêtes sédentaires, d’allures peu vives, de formes lourdes. Il me paraîtrait fâcheux de supprimer, comme plusieurs savans le veulent, le nom proposé par Cuvier ; il représente un faciès paléontologique qui fait date dans l’histoire du monde animé. Les pachydermes ont dominé durant la première moitié des temps tertiaires ; ils indiquent un stade où la sensibilité, aussi bien que l’activité, était encore imparfaite. Pendant les derniers temps tertiaires et de nos jours, la plupart des mammifères méritent le nom de leptodermes plutôt que celui de pachydermes ; car, en même temps que leurs membres sont devenus plus légers pour favoriser leur vivacité, la peau s’est amincie et a perdu son soutien graisseux qui gênait les mouvemens ; ainsi la fonction du toucher a progressé en même temps que la faculté d’activité. Nous pouvons dire qu’au point de vue de la sensibilité et de l’activité, le pachyderme établit un intermédiaire entre le stade reptile peu animé, peu sensible, et le stade des êtres actuels si vifs, si délicats.

Chez les onguiculés, le bout des doigts n’est pas enveloppé par un sabot comme chez les ongulés ; mais le plus souvent il est encore en grande partie couvert par l’ongle, de telle sorte que le tact ne s’exerce que faiblement ; en outre le corps est entièrement couvert de poils.

L’homme seul a un corps tout nu avec une peau très tine. Cette nudité contribue à sa beauté, non seulement parce qu’elle laisse voir ses moindres mouvemens, mais parce qu’elle communique à toute la surface de son corps une impressionnabilité qui en fait une créature d’une exquise sensibilité.

Il faut donc reconnaître que l’histoire des temps géologiques marque un progrès dans le domaine des sensations ; les cinq sens qui nous donnent la connaissance des merveilles du monde, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, ont pris de plus en plus d’intensité, depuis le jour où ils aidèrent au développement des