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ouvertement à devenir française, et ne pas accueillir un semblable vœu eût été une offense faite à cette population.

Nice devait donc fatalement passer à la France, sans pourtant que Garibaldi s’aperçût que ce sacrifice imposé à ses affections personnelles tournait à sa gloire et profitait, d’une manière générale, à la satisfaction de ses sentimens politiques.

Le comte Vimercati écrivait de Mirabellino, le 20 mai 1860, à Michelangelo Castelli, qu’il avait récemment reçu de Paris une lettre de M. de la Guéronnière, lettre « très intéressante », ajoutait-il, « en ce qu’elle faisait bien comprendre que, dans les hautes régions, on prenait pour valables les motifs et les raisons invoquées par le comte (Cavour) relativement à l’expédition de Garibaldi en Sicile. » Et Vimercati ne se bornait pas à cette seule constatation du bon vouloir des Tuileries. Il poursuivait : « Aujourd’hui, je reçois d’une autre personne — da altra persona — une autre lettre qui me persuade que l’empereur, personnellement, n’est nullement fâché de ce qui arrive. » Cette dernière information acquiert, ce semble, une importance assez grande du fait des intimes relations personnelles de M. Vimercati avec la famille impériale ; les mots altra persona, soulignés comme ils le sont par lui, paraissent bien indiquer que l’auteur de la lettre dont il parle ne peut être qu’un membre de la famille de l’empereur, — probablement une princesse à qui Napoléon III avait toujours porté une affection particulière, et qui honorait de sa haute amitié l’attaché militaire piémontais. Enfin, la lettre que je viens de citer donnait une preuve de plus de l’approbation discrète que l’expédition de Garibaldi, malgré les apparences contraires, recevait à Paris : « J’ai vu aussi le maréchal Vaillant ; il blâme l’expédition, mais en termes tellement faibles, qu’il me semble vraiment qu’il a reçu le mot d’ordre[1]. » Or, l’on sait de quelle estime et de quelle confiance le maréchal Vaillant jouissait auprès de son souverain ; une attitude comme celle qu’indique M. Vimercati ne pouvait guère être que le reflet de la pensée intime de l’empereur lui-même.

Tout concourait donc à prouver que, comme je le disais au début de cet article, l’unité de l’Italie, si heureusement tentée par Garibaldi en Sicile, a été indirectement redevable de sa réalisation à l’abandon de Nice fait à la France par le roi de Sardaigne. Et l’on voudra bien convenir enfin que le résultat obtenu valait largement le prix dont il fut payé.

  1. Carteggio politico di Michel Angelo Castelli ; Turin, Roux, éditeur. 1890. vol. I, p. 303.