Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Revenons à notre point de départ : Nice française a enfanté Marsala italienne, — Marsala, qui a fait de la Sicile le creuset où des élémens jusqu’alors disparates, portant les noms de Piémontais, Liguriens, Lombards, Émiliens, Toscans, Romagnols, Marchigians, Ombriens, Napolitains et Siciliens, se sont fondus dans une admirable combinaison de chimie patriotique, pour ne plus former qu’un tout destiné à être à jamais l’Italie une et indivisible.

Que l’unité de l’Italie ait été consommée en Sicile par l’œuvre glorieuse de Garibaldi, c’est ce que tout le monde sait ! Que cette unité soit solide comme le roc insulaire sur lequel elle a été bâtie, c’est ce que beaucoup de gens croient avec le modeste auteur de ces lignes, malgré les appréhensions de tendances séparatistes qu’ont fait naître de récens troubles survenus dans cette île. Mais que la séparation de Nice du royaume italien en gestation ait été le petit fait générateur du grand fait de l’unité italienne, c’est un point d’histoire contemporaine qui n’a pas encore été, je crois, suffisamment constaté. Je vais essayer de le faire.

Nice et la Savoie ont été de tout temps considérées comme formant des parties intégrantes du sol français et de son système de sécurité de frontières. Dès que la politique européenne, dégagée des obscurités du moyen âge et des incertitudes de la Renaissance, a pris son caractère moderne de rationalisme et d’équité, c’est sur ce point que se sont restreintes les ambitions françaises du côté de l’Italie. Dans son beau livre : la France et l’Italie devant l’histoire, M. Joseph Reinach, s’appuyant sur les données historiques les plus positives, nous a montré avec une indiscutable clarté cette heureuse évolution. Il nous fait voir d’une manière saisissante la France de Henri IV rompant avec la politique italienne de la France de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier. Pour le Béarnais, le temps des brillantes chevauchées des Valois à travers la péninsule était passé ; pour lui, il ne s’agissait plus en Italie de conquête, mais bien de délivrance, d’indépendance ; ainsi le problème italien avait pris, à la fin du XVIe siècle, la forme définitive qu’il a conservée jusqu’au milieu du XIXe : chasser l’Autrichien de la péninsule et y former, sur la base des territoires italiens des ducs de Savoie, un État italien assez fort pour l’empêcher d’y rentrer ; c’est d’ailleurs, à certains points de vue, le même problème qui a surgi de nouveau pour la France depuis une douzaine d’années, avec cette seule différence que de nos jours, à l’Autrichien s’est substitué le Prussien : n’est-ce pas en effet la Prusse qui, tout en ne possédant matériellement aucune partie du