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ne sont pas durs pour les uns et faibles pour les autres ; quand il s’agit de commander, ils ne distinguent pas les races. Le « Palais » était à la fois la cour et le centre du gouvernement. Il y avait là toute une hiérarchie d’employés et de fonctionnaires affectés soit au service personnel du prince, soit à l’administration de l’Etat. Les Romains d’origine y avaient accès comme les Germains. Ce grand corps avait pour chef un « maire, » qui par cela même était une espèce de premier ministre. Il n’y avait pas de provinces en Gaule ; mais il y avait toujours des cités, presque identiques à celles d’autrefois, et, pour les gouverner, des agens royaux, ducs ou comtes, tous nommés par le roi, tous révocables à son gré. Quant aux assemblées locales, elles avaient disparu. Le système fiscal était à peu près tel que l’avaient constitué les empereurs, et les Francs étaient assujettis aux mêmes taxes que les Romains. Pour l’armée, « on laissa tomber l’organisme romain, c’est-à-dire les troupes permanentes et soldées, » et on le remplaça par le grossier expédient de la levée en masse. Toute justice émanait du roi. Le roi avait son tribunal spécial, où il jugeait, entouré de quelques grands dignitaires, une foule de procès civils ou criminels, soit directement, soit en appel. Le comte, dans son plaid, était également assisté de plusieurs notables, qu’il choisissait probablement lui-même. Ceux-ci « n’étaient en droit que ses assesseurs et ses conseillers ; en fait, ils jugeaient avec lui, s’il était présent ; absent, ils jugeaient sans lui, mais en son nom et comme s’il était là. » Somme toute, l’Etat mérovingien est « pour plus des trois quarts, » la continuation et la survivance du Bas-Empire. « L’invasion, qui a éliminé de la Gaule la puissance impériale, n’a pas fondé un régime nouveau. Elle n’a pas introduit une nouvelle façon de gouverner les hommes, de les administrer, de les juger ; » surtout, elle n’a pas superposé une race conquérante à une race vaincue et opprimée. Les seuls changemens qui se soient accomplis, notamment eu matière de justice, sont ceux « que les désordres du temps produisent peu à peu, non de ceux que créerait en un jour une révolution brusque. »

Pourtant, lorsqu’on y regarde de près, on s’aperçoit bien vite que dans cette société s’élaborait lentement un régime tout à fait original. Mais c’est dans l’organisation de la propriété et dans les relations individuelles que commençait à poindre la future féodalité.

Le droit de propriété était, sauf quelques nuances, régi dans le royaume franc par les mêmes règles, que sous l’Empire. Un domaine rural du XIe siècle ressemblait trait pour Irait à une villa gallo-romaine du IVe. « Il avait la même étendue et les mêmes