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caractère du Sénat de paraître un peu endormi en temps ordinaire, et de se réveiller pour faire face à l’ennemi dans les jours de crise. On le croit presque inutile lorsqu’on n’a pas besoin de lui ; mais il est des momens où on se demande ce que, sans lui, on deviendrait. C’est le Sénat qui a interpellé M. Ricard sur l’affaire Rempler-Le Poittevin, et qui a infligé au gouvernement un blâme sévère. On dit qu’il ne renverse pas les ministères : soit ! il se contente de les tuer et il les envoie se faire enterrer ailleurs. Le cabinet ne se relèvera pas des coups qu’il vient de recevoir. Il s’en relèverait si le Sénat avait mal choisi son terrain de combat, mais il ne pouvait pas en choisir un meilleur. En tout cas, il faut le féliciter de remplir presque seul en ce moment la tâche qui, dans un gouvernement parlementaire, est la plus haute de toutes, à savoir de parler au pays, de l’avertir et de l’éclairer.


Le seul événement intéressant au dehors est la conversion à la religion orthodoxe du jeune prince de Bulgarie. Le prince Boris a deux ans ; sa conversion ne s’est donc pas faite proprio motu. Au surplus, nous n’entrerons pas dans des détails qui sont connus de tout le monde. On sait qu’au moment même de l’assassinat de M. Stambouloff, le gouvernement bulgare inaugurait déjà une politique de rapprochement avec la Russie. Une mission avait été envoyée à Saint-Pétersbourg, où elle avait été reçue par l’empereur, par le prince Lobanof et par M. Pobédonostzeff, procureur général du saint-synode. Nous avons raconté alors les principaux incidens de ce pèlerinage moitié politique et moitié religieux dont on attendait à Sofia de grands effets. La mission bulgare reçut partout l’accueil le plus sympathique, mais, dès ce moment, il devint évident qu’une réconciliation réelle et durable ne pourrait avoir lieu entre la Russie et la Bulgarie que si la dynastie bulgare adoptait la religion orthodoxe. Or le prince Ferdinand avait précisément modifié la constitution en vue d’assurer à lui et à ses héritiers la liberté de leur conscience religieuse.

Cette liberté, qui est de droit commun pour les particuliers et qui leur appartient aujourd’hui dans tous les pays civilisés, n’est pas faite pour les princes et pour les rois. Le prince Ferdinand s’en est aperçu. Il a montré, depuis qu’il est monté sur le demi-trône de Bulgarie, beaucoup plus de qualités qu’on ne lui en supposait auparavant, et, a travers mille difficultés qu’il a habilement vaincues, il est arrivé à donner à sa dynastie une consistance au moins apparente. Il s’est marié. Il a épousé une princesse de Parme, petite-nièce du comte de Chambord, catholique ardente, et on assure que le mariage n’a eu lieu qu’à la condition que les enfans qui en naîtraient seraient élevés dans la religion de leurs parens. Quand le prince a fait cette promesse, il était sans aucun doute résolu à la tenir. Un combat plein d’angoisses s’est livré