Un député, M. Bovier-Lapierre, a attaché son nom à une proposition qui a précisément cet objet, et qui, votée à la Chambre, est toujours venue échouer au Sénat. C’est que, devant la tyrannie tous les jours grandissante des syndicats à l’égard non seulement des patrons, mais des ouvriers eux-mêmes, il a paru souverainement imprudent de mettre à leur disposition une arme répressive. M. Bovier-Lapierre, rendons-lui cette justice, a pourtant fait quelques efforts, d’ailleurs infructueux, pour donner à sa loi un caractère juridique. Il a énuméré quelques-uns des faits qui donneraient lieu à l’application d’une peine. Il n’a pas voulu rester dans le domaine du pur arbitraire. Le gouvernement a jugé que tant de précision pouvait être une gêne, et on a vu qu’il n’en a mis aucune dans son propre projet. « Ceux qui seront convaincus d’avoir entravé ou tenté d’entraver le libre exercice des droits résultant de la loi de 1884 »... qu’est-ce que cela signifie ? Qu’entend-on par « entraver ou tenter d’entraver ? » Le gouvernement s’est bien garde de le dire. On pourrait croire que son texte se ressent de la rapidité d’une improvisation bâclée en une nuit : mais on se tromperait. C’est exprès, de propos délibéré, qu’il est resté dans le vague, et il a pris soin de le lire avec une simplicité dont il faut lui savoir gré. « Nous nous abstenons à dessein a-t-il dit dans son exposé des motifs, de spécifier les atteintes qui peuvent être portées au libre exercice des droits résultant de la loi du 21 mars 1884, afin de permettre aux tribunaux d’apprécier avec une pleine indépendance, ces atteintes si multiples, si variées, si ingénieuses, et qu’il serait téméraire de prétendre prévoir toutes. » C’est pourquoi il a préféré n’en prévoir aucune. Les juges condamneront quand bon leur semblera. On se fie à la jurisprudence du soin de faire la loi de toutes pièces. Cette loi, le principal organe du parti socialiste l’a fort bien qualifiée en l’appelant une « loi de sureté générale ». L’indétermination calculée des termes permet de l’étendre à tout ce qu’on voudra. Quand elle a été déposée, avant même qu’elle eût été lue, M. Jaurès, qui la connaissait et qui avait de bons motifs pour cela, s’est écrié joyeusement : « Voilà une loi à l’adresse de M. Rességuier ! » Nous dirons à notre tour : Voilà où nous en sommes ! On fait une loi pour une personne ! Cette loi de sûreté générale ne vise qu’un individu ! Elle est bien digne du cabinet actuel et de ses inspirateurs
Un comprend que cette condescendance du ministère à l’égard des socialistes ait produit au Luxembourg la plus mauvaise impression. Quoi ! Le Sénat a toujours repoussé la loi Bovier-Lapierre comme incertaine dans son principe et dangereuse dans son application, et à cette loi, qui est comparativement un chef-d’œuvre d’esprit juridique, on substitue le texte rudimentaire au point d’en être grossier que nous avons reproduit plus haut. Compterait-on par hasard sur le Sénat pour le voter ? On aurait tort, sans doute, de compter même