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de toutes les combinaisons que nous voyons paraître et disparaître sans parvenir à nous y intéresser. Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? Où voulons-nous aller ? Le ministère radical balbutié à ce sujet quelque chose que personne n’a bien compris, mais où on a cru distinguer qu’il s’allégeait des trois quarts de son programme. Quant au parti modéré, il imite de Conrart le silence cette fois imprudent. Un parti qui ne parle pas est un parti qui n’existe pas. Rien de plus dangereux en politique que de faire le mort ; on est tout de suite pris pour tel. La Chambre se tait, le Sénat a parlé. « Monsieur, a dit le garde des sceaux à M. Bérenger, qui venait de faire passer une motion, vous avez tué le Sénat. » Ce mot lapidaire a fait rire, mais non pas aux dépens de la Chambre haute. Les morts que tue M. Ricard se portent assez bien.

La motion de M. Bérenger se rapportait a un projet de loi sur les accidens et sur les risques professionnels. Il faudrait, pour en rendre compte, une étude de détail qui n’entre pas dans le cadre d’une chronique. Le projet qui avait les préférences du gouvernement et que M. Ricard avait défendu avec toute son éloquence, était contestable dans son principe et mal combiné dans ses dispositions principales : M. Bérengery a opposé un contre-projet, dont il a obtenu le renvoi à la commission. C’est un retard sans doute, mais ne vaut-il pas mieux retarder le vote d’une loi que d’en voter une mauvaise ? Cette première escarmouche entre le gouvernement et le Sénat indiquait déjà les dispositions de celui-ci : elles se sont bientôt manifestées d’une manière plus expressive encore.

Dans son discours de Lyon, M. Bourgeois avait annoncé le retrait du projet Trarieux et la presse radicale socialiste avait poussé des cris d’enthousiasme. Le projet déposé par M. Trarieux sous l’ancien cabinet, alors qu’il était ministre de la justice, avait pour objet d’interdire l’exercice du droit de coalition et de grève aux ouvriers des chemins de fer. Les ouvriers des chemins de fer ne sont pas assimilables aux autres. Les services auxquels ils sont attachés sont, a beaucoup d’égards, des services publics, et, s’ils venaient à être interrompus, les conséquences les plus graves pourraient en résulter en temps de paix et surtout en temps de guerre. On a beau dire qu’en temps de guerre le patriotisme des ouvriers les empêcherait de recourir a un pareil moyen de pression, — et nous le croyons ; — on a beau faire remarquer qu’ils seraient alors sous la main du ministre de la guerre, et que leur liberté d’action se trouverait tout naturellement suspendue, — et cela est vrai ; —le danger n’en subsiste pas moins. Une fois que le travail est abandonné, il faut un certain temps pour s’y remettre. Il y a là une mobilisation d’un nouveau genre qui, a un moment donné, devrait s’ajouter, en la compliquent, à la mobilisation militaire. Tous les ministres de la guerre en avaient jugé