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de noms pompeux, sont restés d’illustres inconnus : tels Audebez de Montgaubet, Groubert de Groubonthal, d’Ysambert de la Fossarderie, Fenouillot de Falbaire de Quingey, Thomas Minau de la Migtringue. D’autres se sont fait une célébrité en dehors de la littérature. « Si la Révolution s’était faite sous Louis XIV, disait Rivarol, Cotin eût fait guillotiner Boileau, et Pradon n’eût pas manqué Racine. En émigrant j’ai échappé à quelques jacobins de mon Almanach des grands hommes. C’était une vue juste. On a eu plus d’une occasion de remarquer que l’état-major des révolutions se recrute dans la bohème des lettres. Fabre d’Eglantine et Collot d’Herbois, par n’en pas citer d’autres, en seraient la preuve. Et tout près de nous on a pu noter les influences littéraires qui se sont fait jour dans la Commune. Entre les bas-fonds de la littérature et ceux de la politique il y a communication. Au surplus ce ne sont pas les idées justes qui manquent, ni dans les conseils que Rivarol adressait à Louis XVI, ni dans les reproches qu’il adressait aux émigrés ; ce qui lui manqua, ce fut le moyen de se faire entendre.

Il semble bien qu’il y eût chez Rivarol un fond de sérieux et que son esprit valût mieux que son œuvre. Il étudie les langues, traduit l’Enfer de Dante, écrit un Discours sur l’universalité de la langue française, réfléchit sur les principes de nos connaissances, adresse deux lettres à Necker à propos de son livre sur l’Importance des opinions religieuses. Certains tableaux qu’il a tracés de la Révolution et de la Terreur sont un commencement de Joseph de Maistre. Certaines de ses réflexions sur la religion sont un commencement de Chateaubriand. Il y a ainsi dans Rivarol beaucoup de commencemens qui n’aboutissent jamais. C’est qu’on n’a pas impunément pris la discipline de son esprit dans le badinage des salons. On n’a pas débuté dans les lettres par un Dialogue du chou et du navet, continué par des parodies du Songe d’Athalie et du Récit de Théramène, sans avoir contracté de fâcheuses habitudes dont on n’est plus libre de se débarrasser ; on n’est pas à la fois « le philosophe et le loustic » de la Révolution. C’est par là que la destinée de Rivarol se rejoint avec celle de Chamfort. Quelles qu’aient pu être les ressources d’esprit de ces deux hommes merveilleusement doués, ils n’en ont pas profité. « Je ne peux résister au plaisir de frotter la tête la plus électrique que j’aie jamais connue a écrit Mirabeau à Chamfort. De toute cette électricité, rien n’est sorti qu’une gerbe d’étincelles. De sa connaissance du monde et de ses rancunes, Chamfort n’a tiré que des boutades au lieu d’une philosophie. Il a fourni le titre d’une brochure à Sieyès et fabriqué des mots pour la Révolution pendant que Rivarol en fabriquait contre elle. C’est des deux côtés la même stérilité.

Ils n’ont tout il fait réussi que dans un genre, celui des « maximes », né dans les salons au temps de la Rochefoucauld et destiné à périr avec