Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou au clair de lune qui prennent dans le mystère de la nuit des airs de forêts enchantées ; — voici, près d’Avon, à Fontainebleau de grands horizons de verdures moutonnantes, dont les larges ondulations se déroulent majestueusement, pareilles à un sombre océan apparu soudain du haut d’un monticule, entre deux troncs d’arbres élancés comme les colonnes d’un temple debout sur quelque promontoire... — De l’intimité la plus humble, il s’élève sans effort au style le plus émouvant — et ce « style » alors n’est plus l’étroite et impersonnelle application d’une recette, l’art de disposer sur une toile des fragmens d’études, c’est l’expression libre et large, persuasive et animée d’un profond sentiment de nature.


VIII

Dès qu’il eut pris clairement conscience de lui-même, qu’il osa davantage obéir jusqu’au bout à son démon familier et qu’il s’habitua à lire plus librement à la fois dans la nature et dans son propre cœur, Corot en vint à créer, pour son usage, un système de notations sommaires et rapides, dont il faut dire quelques mots. Ce vif sentiment, cette intuition si sûre et si subtile de la vie de l’atmosphère et de ses relations avec tout ce qu’elle enveloppe et fait vivre, cette attention portée sur les choses moins pour en surprendre l’intime structure et la physionomie individuelle que pour saisir et noter leurs rapports avec ce qui les environne, cette observation délicate des phénomènes les plus éphémères et des plus mobiles apparences qu’un souffle de brise, l’angle changeant d’un rayon défont et modifient sans cesse, devaient le conduire graduellement à ce qu’on a appelé « l’impressionnisme».

Il pouvait s’abandonner impunément à son charme dangereux, parce qu’avant de se permettre les synthèses sommaires, il avait patiemment accumulé de minutieuses analyses ; il avait, en ses jeunes années et jusqu’à sa pleine maturité, rempli ses cartons de dessins attentifs, étudié comment les plans des terrains s’établissent, comment les arbres robustes s’attachent à la terre maternelle ; il savait comment se comporte la vivante charpente d’où partent les menues branches et les feuilles qui tremblent au moindre vent, il avait observé comment elles sont adaptées sur leur tige, quelle est leur forme et leur profil...

Peu à peu, à ses consciencieuses enquêtes, on voit, dans la collection de ses dessins et de ses carnets, se substituer une autre méthode d’indications rapides. Il s’était permis de dire que