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un peu trop panoramiques, mais d’impression très juste, d’exécution attentive et souvent spirituelle que Louis Moreau aimait à peindre à Meudon, à Saint-Germain et à Saint-Cloud, les Grandes routes de Louis de Marne avec leur jolie lumière blonde, et ses cours de ferme ou d’auberge, avec leurs bandes d’oies aussi majestueuses que si elles venaient de sauver le Capitole, les Moulins de Montmartre de Georges Michel, qui à force de nettoyer des Ruysdaël, des Cuyp, des Van Goyen (déjà recherchés par quelques collectionneurs originaux) s’était « grisé de demi-teintes, de beaux tons, de lumière et d’harmonie », et, à leur école, avait appris à peindre, — un grand nombre d’études enfin de cette même époque qu’on s’étonne de voir passer dans des ventes obscures ou de découvrir dans les cabinets de quelques vieux amateurs, pourraient témoigner que par un mouvement discret, silencieux mais ininterrompu, la peinture tendait à se rapprocher de la nature et que plus d’une tentative, modeste assurément mais significative, avait devancé la venue et préparé peut-être le triomphe des grands lyriques du paysage... Quand, en 1826, Boutard, critique de goût très classique, mais de très libre esprit, imaginait dans son Dictionnaire des Beaux-Arts cette définition : « Le paysage a pour objet l’imitation des effets de la lumière dans les espaces de l’air et sur la face de la terre et des eaux », ne donnait-il pas innocemment la «formule » même de la future école du « plein air » et de l’impressionnisme ?


II

Ces premiers tâtonnemens du paysage naturaliste furent rejetés dans l’ombre par la conception de l’art que l’esthétique de Winckelmann et de Raphaël Mengs, l’autorité de David, firent, pour un temps, triompher dans la pédagogie. L’esprit de système qui régnait en maître absolu sur la peinture d’histoire admettait malaisément la légitimité des genres secondaires. « L’art de peindre est un et ne devrait à la rigueur comporter qu’un seul genre, qui est la peinture d’histoire » écrivait un paysagiste, Valenciennes lui-même. Le paysage n’aurait pas dû exister. Du moins s’efforçait-on de le relever en dignité. Ceux s’y étaient exercés autrefois, Ruysdaël et ses compatriotes, « n’avaient travaillé que pour des hommes dont l’esprit et l’âme étaient engourdis... L’idéal leur était absolument inconnu. » Il fallait donc que l’idéal vint au secours du genre méprise :


Si canimus sylvas, sylvæ sint consule dignæ !