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nantes encore que celles des hommes. Marco Polo fit, au XIIIe siècle, à la cour de l’empereur mongol, la connaissance d’une dame de Metz que les Hongrois avaient enlevée sur les bords de la Moselle et que les Asiatiques avaient prise aux rives du Danube. Le Décaméron renferme de ces curieuses histoires d’héroïnes errantes, longtemps persécutées et malheureuses, dont l’innocence finit par éclater à la satisfaction du lecteur. Telle, madonna Zinevra, de Gênes, qui, calomniée horriblement par un mauvais gars, Ambrogiuolo, condamnée à mort par son mari Barnabo, épargnée par la pitié de l’émissaire de celui-ci, mais que Barnabo croit morte et mangée par les loups, se travestit en matelot et, la tête rasée, entre au service d’un gentilhomme catalan qui se promenait pour son plaisir et son négoce à travers la Méditerranée. Elle s’appelle dès lors Sicurano. Le soudan d’Égypte, à qui le Catalan avait présenté des faucons, frappé de la bonne mine du jeune mousse, le demande à son maître. Sicurano devient aussitôt le favori du prince. Il est chargé de présider au bon ordre de la foire de Saint-Jean-d’Acre ; parmi les marchands venus de toutes les cités italiennes, il reconnaît le traître Ambrogiuolo, se lie adroitement avec lui, le décide à conter son odieuse machination et le ramène à Alexandrie, où il ne se fait pas prier pour divertir le Soudan par l’histoire de madonna Zinevra. Alors celle-ci mande en Égypte son mari par l’entremise d’armateurs génois ; toujours travestie en page musulman, elle force son accusateur à dévoiler son crime à Barnabo, en présence du prince, puis elle dénonce son sexe, se nomme et se jette dans les bras de son époux, fort étonné d’une résurrection si inattendue. Le soudan, qui n’est pas moins surpris de la métamorphose, renvoie en Italie le couple romanesque, comblé de richesses, et fait attacher à un poteau Ambrogiuolo nu et bien enduit de miel ; les et les taons dévorent jusqu’aux os le misérable.

Mais quels accidens de la fortune sont comparables à ceux qui fondirent sur la fiancée du roi de Garbe ? Le sultan de Babylone, pour récompenser l’alliance de ce prince marocain, lui envoya comme épouse sa fille, la charmante Alaciel. Le navire avait quitté l’Égypte par un beau temps, mais une fois la Sardaigne dépassée (la route suivie était déjà bien étrange), une tempête si furieuse assaillit les voyageurs qu’ils furent emportés jusqu’à Majorque et, de nuit, se brisèrent sur les récifs. La princesse et ses demoiselles demeurent seules sur les ruines de la galère, que les vagues roulent jusqu’à la plage. Un gentilhomme, Pericon da Visalgo, qui faisait ce matin-là, à cheval, sa promenade le long des grèves, découvre Alaciel, « toute timide », dans la chambre de proue. Pericon emmène à son château les naufragées, les ré-