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« la plus délicieuse région de l’Italie, pleine de jardins et de fontaines, et d’hommes riches, ardens au négoce. » Il voulut doubler sa fortune, arma un grand navire qu’il chargea de denrées et fit voile pour Chypre. Mais toute une flottille marchande avait jeté l’ancre avant lui dans le port de l’île, il dut vendre sa cargaison à vil prix et, se trouvant presque ruiné, « il pensa soit à mourir, soit à voler pour relever ses affaires » ; il s’arrête au second parti, vend son navire, achète un bateau léger, « excellent pour la course, sottile da corseggiare », et se met à écumer les mers du Levant, aux dépens surtout des Turcs, mais sans négliger les chrétiens. En moins d’une année, il avait pris tant de navires, pendu tant de patrons, qu’il se vit plus riche qu’il n’était auparavant. Très joyeux et décidé à se retirer des affaires, il mit le cap sur l’Italie. Mais, en plein Archipel, le sirocco, l’hôte terrible de ces parages, le força à se réfugier à l’abri d’une petite île. Le malheur voulut que deux grosses galères marchandes de Gènes, qui venaient de Constantinople, durent s’arrêter au même endroit. À pirate, pirate et demi. Les Génois, pour tuer le temps, s’emparèrent du bateau et des richesses de notre homme et le hissèrent à leur bord, en simple pourpoint. On se remet en route. Une violente tempête s’élève, qui sépare les deux navires génois et brise « comme une bouteille contre un mur » celui qui portait Landolfo sur les rochers qui hérissent les abords de Céphalonie : la cargaison et l’équipage tombent à l’eau ; l’avisé corsaire embrasse une planche, puis s’installe sur une caisse et vogue, à la grâce de Dieu, trempé comme une éponge. Il aborde aux rives de Corfou, ainsi que fit naguère Ulysse. Ce n’est point une fille de roi, mais une vieille femme qui, le prenant d’abord pour un monstre marin, l’accueille en le tirant à terre par la chevelure. Le voilà sur le sable et aussi la bienheureuse caisse. Il était à moitié mort de faim et de terreur. La vieille, aidée de sa fille, le porte dans une étuve, le réchauffe, le restaure. Il est remis sur pied. En l’absence de son hôtesse, il va ouvrir la caisse abandonnée, la trouve pleine de pierres précieuses, se garde bien de souffler mot de la découverte, demande un sac où il enfouit le trésor qu’il attache à son cou, passe sur une barque de pêcheur à Brindisi, puis à Trani. Là, quelques compatriotes le reconnaissent, le rhabillent et lui prêtent de quoi retourner à Rovello. Rentré chez lui, il bénit Dieu, ouvre la besace, vend les pierreries et, encore deux fois plus riche qu’avant son départ, se jure à lui-même de ne plus jamais naviguer. Le corsaire était d’ailleurs un galant homme : il envoya une grosse somme à la charitable vieille de Corfou et à ses compères de Trani.

Les aventures des femmes étaient, au moyen âge, plus éton-