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derrière une jalousie, jouissaient de son ennui et de ses frissons. La servante reparaît à une fenêtre : « Madame est bien chagrine de ce contretemps ; ce soir, un sien frère est venu souper chez elle ; il n’en finit pas de bavarder, Madame vous prie de patienter encore un peu. » Et la soubrette se retire et va se coucher. Hélène rentra dans son appartement et, jusqu’à minuit, se réjouit avec son favori de l’avanie si joliment inventée pour l’autre. « Levons-nous un peu, dit-elle enfin, et voyons si le feu dont brûlait cet impertinent est éteint. » Ils retournent à la jalousie : le pauvre Rinieri dansait éperdument dans la cour pour se réchauffer : ses dents claquaient, et la neige tombait en tourbillons. La vipère murmure à l’oreille de son amant : « Eh bien ! ma douce espérance, ne sais-je pas faire danser les hommes sans trompettes ni cornemuses ? » Puis elle descend derrière la porte de la cour et appelle. L’infortuné la supplie d’ouvrir. Chansons ! Son maudit frère est toujours là, et, après tout, pour quelques flocons de neige, Rinieri fait bien le délicat ; à Paris, d’où il vient, on sait qu’il neige autrement plus fort. Elle refuse de l’accueillir à l’intérieur tant que son frère ne sera point parti. « Au moins, dit-il, préparez un bon feu, car je meurs de froid. » Elle répond : « Et ce grand amour, dont tu brûlés, ne te tient-il plus au chaud ? » Elle remonte à sa chambre et laisse, jusqu’au jour, Rinieri « semblable à une cigogne, tant il battait des mâchoires. » La servante délivre enfin l’amoureux transi, avec des paroles meilleures et la promesse de nuits plus heureuses. Mais, lui, il était guéri de sa passion, enragé de vengeance, aux trois quarts gelé et perclus, presque mourant. Les médecins qu’il fit venir à son chevet eurent les plus grandes peines à ne point le tuer tout à fait. Une fois « sain et frais », il songe à assouvir sa haine. D’ailleurs, la fortune lui sourit : l’amant avait trahi la belle pour une autre maîtresse ; Hélène en était au désespoir. Voyant passer tous les jours Rinieri sous ses fenêtres, elle eut une idée bizarre : puisqu’il était si savant, ne pourrait-il, par opération magique, ramener entre ses bras l’ingrat qu’elle pleure ? L’étudiant répond qu’en effet il peut tirer l’autre, grâce à la nécromancie, même du fond de l’Asie : mais c’est une œuvre que Dieu condamne, un rite tout diabolique, surtout quand il s’agit d’amour. Il consent néanmoins à perdre son âme pour la femme qu’il feint d’aimer toujours, malgré le souvenir de la nuit de Noël. Il faut, pour cette magie, un lieu solitaire, l’heure de minuit, un grand courage. Hélène est prête à tout. Cette Fiammetta méchante, exaspérée d’amour inassouvi, ne se méfie point de l’homme dont elle s’est fait un implacable ennemi ; et puis, fille étrusque ou latine, l’étrangeté même de la cérémonie nocturne inventée par Rinieri est pour la char-