Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/868

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mélancolie ou désespérance, mourir pour le dédain de l’être aimé, ou mourir encore pour ne point lui survivre, toutes ces nuances de la passion souffrante, refoulée ou brusquement privée de son objet, nous donnent, sans secousse violente, une agréable émotion littéraire. Ce sont des idylles que Boccace a contées avec une parfaite délicatesse de langue et d’images. Mais l’idylle, dans cette Florence du XIVe siècle où, écrit Dino Compagni, à chaque crise de la vie publique, « l’on en vient au sang », était sans doute une fleur très rare. Les sombres palais guelfes aux grosses tours crénelées, les sinistres ruelles voûtées, ténébreuses, qui descendent à l’Arno, gardaient le secret d’histoires lugubres, où l’amour provoquait au crime, où le baiser tuait, où l’honneur outragé se complaisait en d’atroces vengeances. Ce sont les horreurs du Décaméron, que nos charmantes Florentines n’ont entendues qu’en frissonnant.


IV

Il y avait à Florence une jeune dame « belle de corps et altière d’esprit », riche et noble, nommée Hélène. Veuve, elle ne s’était point remariée ; elle aimait un « gracieux jeune homme » et les deux amans « se donnaient du bon temps. » Un jeune gentilhomme toscan, Rinieri, revenait alors de Paris, où il avait étudié sous les maîtres de l’Université : il était docte et riche, et menait un train brillant. Un jour, dans une fête, il aperçoit Hélène en ses vêtemens de deuil, belle et désirable plus que femme au monde ; il en devient sur-le-champ amoureux et prend la résolution de tout tenter pour être aimé d’elle. La jeune dame, « qui n’avait pas les yeux dans sa poche », voit, de son côté, l’émotion de Rinieri et se dit en riant : « Je n’aurai pas perdu ma journée ; voici un jeune merle que je prends par le nez. » Et, par un jeu de regards furtifs, plein de promesses mensongères, elle active le feu de cette passion naissante. L’étudiant désormais tourne autour du logis d’Hélène, lui déclare bientôt son amour par l’entremise de la servante. Elle fait répondre qu’elle aime Rinieri de toute son âme, mais que son honneur lui impose une réserve absolue. Rinieri multiplie les billets doux et les cadeaux, n’obtient que de vagues paroles, s’obstine dans sa poursuite. La perfide créature révèle à son amant, que tous ces cadeaux inquiétaient, l’amour de l’écolier, et tous deux tendent à celui-ci un piège odieux. Hélène l’invite à pénétrer chez elle dans la nuit de Noël. La servante l’introduit dans une cour abondamment jonchée de neige, et l’y enferme. Le froid était piquant, l’amoureux grelotte, attend, s’impatiente. La dame et son page, cachés