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par la tempête, pareils « aux blanches colombes qui, les ailes grandes ouvertes, retournent au nid bien-aimé. »

Il arrive alors que le témoin de ces amours surprises et consacrées par la mort se sent ému d’une pitié et d’un respect sans mesure. Dante, après avoir entendu le récit et les sanglots de Francesca, s’évanouit et tombe « comme une personne qui meurt. » Et voici l’œuvre et le bienfait suprême de la mort : l’amour heureux, l’amour naïf, sensuel, parfois coupable, qui n’attirerait guère l’attention du poète, du romancier ou du conteur, dès qu’il finit en élégie ou en drame de sang et se couche, expirant, dans ses voiles de deuil, devient tout à coup le plus émouvant et le plus attirant des spectacles. Aussi Boccace, fidèle à la doctrine des grands lyriques de sa race, a-t-il édifié, à l’ombre des cyprès du Décaméron, le Campo-Santo des amans tragiques, région douloureuse qu’il nous faut maintenant visiter.

Je commence par les plus humbles tombes, dont l’histoire est peut-être la plus attendrissante. Simona et Pasquino, deux enfans de Florence, aussi charmans que pauvres, se sont aimés sans plus de réflexions ou de scrupules que les plus candides amans de la fable antique, Daphnis et Chloé. Simona était fileuse, Pasquino ouvrier d’un maître tisseur : le jeune garçon apportait souvent à la jeune fille de la laine à filer, et celle-ci, au doux murmure de son rouet, ne songeait plus qu’à la bonne mine et au sourire de Pasquino. Un soir, le rouet s’arrêta et la fileuse ne fila plus. Ce fut une ivresse timide, une joie inquiète de quelques beaux jours. Pasquino, afin d’entretenir librement sa maîtresse loin des regards soupçonneux du père, l’invita, en compagnie de son amie Lagina, à faire la collation dans un jardin. Simona, déjà rusée, feignit de se rendre « au pardon de la Porte San-Gallo ». Elle rejoignit son amant qui, de son côté, amenait un ami, Puccino Stramba. Les deux couples se séparèrent sous les ombrages de leur petit paradis terrestre et choisirent chacun une retraite verdoyante, pour y attendre l’heure du goûter. Pasquino et Simona s’étaient assis dans l’herbe, près d’une épaisse touffe de sauge, et, tout en devisant, le jeune homme y cueillit une feuille et la mordit. Tout à coup il pâlit, ses lèvres tremblèrent, ses yeux se fermèrent : il était mort. Lagina et Stramba accoururent aux cris de la pauvre fille. « Ah ! femme scélérate, tu l’as empoisonné ! » Les voisins, attirés par le bruit, s’empressent autour de Simona, l’entraînent, tout éplorée, au palais du podestat. Le juge interroge les témoins, et, ne comprenant rien à l’aventure, se rend au jardin afin d’y poursuivre l’enquête près du cadavre. Pasquino était toujours étendu, livide, à côté de la touffe de sauge. Simona, afin de bien montrer au juge les