Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/856

Cette page a été validée par deux contributeurs.
BOCCACE

III[1]
LES DRAMES DU DÉCAMÉRON


I

Voilà bien des siècles que les sages, les poètes et les théologiens crient aux oreilles des hommes, sur un ton de grande mélancolie : « L’amour est une passion aventureuse, douloureuse, très souvent mortelle. » Ils en décrivent ou en pleurent les amertumes, les périls, les trahisons et les sottises. Mais les amoureux n’écoutent jamais les prophètes de malheurs, et il semble toujours que l’amour soit le suprême attrait et l’enchantement exquis de la vie humaine. Le vieux lyrique de Bologne, Guido Guinicelli, vaguement platonicien, comparait l’amour au soleil dont les rayons allument, sur la terre, les feux des pierres précieuses : si le soleil s’éteignait au ciel, les diamans, les saphirs et les topazes ne seraient plus que d’obscurs et méprisables cailloux. Ainsi l’amour, dit-il, enflamme ici-bas les âmes nobles, et si l’amour venait à mourir, le monde perdrait sur l’heure toute dignité et toute grâce. L’Italie, qui recherche si ardemment la volupté et la volupté amoureuse, et recueillit si gaiement la sensualité païenne des clerici vagantes, la sensualité toute bourgeoise de nos fabliaux, accepta donc toutes les tristesses, toutes les violences

  1. Voyez la Revue du 1er  novembre et du 1er  décembre 1895.