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l’intégrité du territoire de l’autre ; mais tout le monde assurait avec confiance qu’il resterait lettre morte. L’événement a prouvé une fois de plus que les passions de race sont bien autrement puissantes que les liens économiques.

Les Boers des colonies anglaises étaient aussi fort excités ; beaucoup de ceux de Natal passaient la frontière pour venir combattre côte à côte avec leurs frères du Transvaal ; le gouvernement de la colonie dut prendre des mesures pour empêcher le mouvement de se généraliser. Ceux du Cap, plus éloignés, manifestèrent du moins hautement ce qu’ils sentaient. Tout près même de Capetown, à la petite ville de Paarl, un meeting en masse envoya ses félicitations et ses vœux au président Krüger après l’échec de Jameson. Le chef du parti boer à la Chambre des députés, le président de la puissante association hollandaise de l’Afrikander-Bond, M. Hofmeyr, ramené à force de patience et de concessions des confins du séparatisme, et qui semblait devenu aussi loyaliste qu’un Anglais, télégraphia aussi à M. Krüger et déclarait à un interviewer anglais qu’il ferait tous ses efforts pour maintenir la paix, mais que, si la guerre éclatait, Dieu seul savait quel parti il prendrait. C’est d’ailleurs en présence de l’agitation des Boers de la colonie du Cap que l’Angleterre, en 1881, renonça à pousser plus loin la guerre et reconnut l’indépendance du Transvaal.

Ainsi donc, en cas de guerre déclarée entre ce pays et l’Angleterre, ce ne seraient pas seulement 12 000 à 15 000 citoyens armés du pays qu’elle aurait à combattre ; il viendrait s’y joindre autant d’hommes de l’État d’Orange, et un chiffre inconnu, plusieurs milliers certainement, du Cap et de Natal. C’est 30 000 à 40 000 Boers au moins, tous rudes soldats et infaillibles tireurs, qui seraient soulevés ; l’Afrique du Sud entière serait en feu, du cap de Bonne-Espérance au fleuve des Crocodiles. L’Angleterre n’est nullement préparée à faire une pareille guerre, qui ne serait pas sans ressembler fort à l’expédition du Mexique avec lequel ces pays ne manquent pas d’analogie. Sans doute elle pourrait recruter quelques milliers de volontaires parmi les Afrikanders de race anglaise, mais ceux-ci habitent surtout dans les villes ou aux environs ; dans l’est de la colonie du Cap seulement on les trouve en assez grand nombre dans les campagnes ; ils sont moins résistans, moins exercés au tir que les Boers. Pour vaincre l’insurrection générale, pour assurer les communications, il faudrait envoyer dans l’Afrique du Sud 60 000 ou 70 000 hommes, peut-être davantage, de troupes européennes.

Ce ne serait pas une guerre régulière, mais une série de combats en ordre dispersé, où l’artillerie serait inutile. Le pays, sans