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eux du gouvernement du pays, et ils sont décidés a le conserver. Les habitans du Witwatersrand ont montré par leur peu de courage dans la dernière crise qu’ils étaient incapables de lutter seuls contre les Boers. L’Angleterre serait donc obligée d’intervenir, et le résultat de la lutte serait l’établissement d’un protectorat étroit, sinon l’annexion du Transvaal à son empire colonial. La question qui se pose est donc celle-ci : la conquête du Transvaal par l’Angleterre est-elle possible, du moins sans sacrifices absolument hors de proportion avec le bénéfice à en attendre ?

Nous n’insistons pas en ce moment sur ce qu’aurait certes d’odieux une telle agression, mais sur ses chances de succès matériels. S’il n’y avait que les Boers du Transvaal. qui peuvent mettre sur pied 12 à 15 000 hommes, tous excellens tireurs, il est vrai, l’Angleterre pourrait espérer les vaincre sans de trop énormes sacrifices. Mais il se trouve quantité de Boers dans l’Afrique du Sud en dehors des limites de la République sud africaine. Si les recensemens des divers États ou colonies ne font pas de distinction entre les blancs suivant les langues qu’ils parlent, les statistiques religieuses permettent de se rendre compte, d’une façon très approchée, de la proportion des Boers et des Anglais, au moins dans la colonie du Cap : sur 376 987 blancs, 228 627 appartenaient à l’Église réformée de Hollande et à ses diverses ramifications ; parmi ces descendans de huguenots et de Hollandais, un certain nombre, habitant les villes, était sans doute anglicisé de mœurs et de langue, mais ce n’était qu’une faible minorité. Dans l’État d’Orange, sur 77 000 blancs, 60 000 à 65 000 étaient des Boers ; et dans la colonie de Natal, ils formaient un cinquième environ des 42 000 Européens.

On peut prévoir ce que serait l’attitude de cette population d’origine franco-hollandaise, en cas de conflit armé entre l’Angleterre et le Transvaal, d’après ses sentimens et ses actes pendant la dernière crise. L’État libre d’Orange n’hésita pas un instant : aussitôt que le docteur Jameson fut entré au Transvaal, le gouvernement envoya l’artillerie sur la frontière et appela un premier contingent de citoyens pour accourir au premier signal à l’aide de la République sœur. Cette attitude si nette fut une grande désillusion pour les Anglais : tout le monde m’avait dit, a mon passage à Capetown, que la colonie du Cap avait su se concilier l’État d’orange en concluant avec lui une union douanière, en lui construisant ses chemins de fer sans qu’il eût rien à débourser. Il y avait bien un traité signé à Potchefstroom en 1890, après de patiens efforts du président Krüger, en vertu duquel chacune des deux Républiques garantissait l’indépendance et