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à ce moment on ne voulait plus traiter sérieusement ni à Tours ni au quartier général prussien. En tous cas, l’intermédiaire de la Russie était épuisé pour nous, et la question des intérêts particuliers prenait chez elle le dessus. Nous en eûmes bientôt la preuve officielle, car, au même instant où l’on apprit à Saint-Pétersbourg l’échec des premières négociations de M. Thiers avec M. de Bismarck, la Russie s’occupa, sans perdre un moment, à dénoncer le traité de Paris de 1856. Cette grosse question internationale devait désormais absorber presque entièrement son attention et lui faire subordonner momentanément tous les autres intérêts à cette revendication nationale.


IV. — DÉNONCIATION DU TRAITÉ DE 1856

Personne n’ignore que, bien avant la guerre entre la France et l’Allemagne, la Russie avait fait connaître son intention de rendre caduques à la première occasion certaines des dispositions du traité de 1856 qu’elle avait signées sous l’empire de la nécessité. L’empereur, en particulier, avait toujours considéré la limitation des forces navales de l’empire dans la Mer-Noire comme une atteinte portée à sa souveraineté, et l’alliance de la Russie semblait promise par avance à tout État dont le concours pourrait assurer la suppression de cette clause humiliante. Il peut être permis de dire aujourd’hui, après bien des traités imposés et déchirés tour à tour, que l’art des futurs négociateurs devrait consister dans une certaine modération, qui permettrait de faire la part des intérêts aussi grande que possible, sans toucher inutilement aux questions d’honneur. Je n’ignore pas que la mesure est très difficile à garder pour le vainqueur, dans ce qu’il considère comme ses revendications légitimes, surtout quand il demeure en tête à tête avec le vaincu. Mais, toutes les fois qu’il a eu le courage de le faire, il s’en est bien trouvé. Est-ce que le nouvel empire d’Allemagne aurait aujourd’hui dans l’Autriche un auxiliaire dévoué à sa politique s’il lui avait enlevé la Silésie après la bataille de Sadowa ? Assurément non, et pour en revenir à la France, quand Pozzo di Borgo, secondant faction du duc de Richelieu auprès de l’empereur Alexandre, prononçait ces paroles énergiques : « Demandez à la France autant d’argent qu’elle en pourra donner, elle tordra, s’il le faut, ses entrailles en filets d’or, mais ne lui demandez pas des provinces », il lui disait la vérité. Les clauses humiliantes ne sont pas bonnes, dans l’intérêt même du vainqueur, à imposer aux vaincus ; car tout ce qui est excessif ne peut, par la force même des choses, être conservé à la longue.

Tel était le cas pour l’article 14 du traité de 1856. Tant que la