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de visiteurs, comme s’ils avaient été là pour un voyage de plaisir. Le 3 janvier au soir, quatre jours après la nouvelle de l’invasion de Jameson, le gouvernement boer disposait de plus de 5 000 hommes, les uns à Krügersdorp, les autres à Pretoria. Le président Kruger pouvait répéter avec plus de vérité le mot qu’on prête à Pompée : « Je n’ai qu’à frapper du pied le sol pour en faire sortir des légions. »

À Johannesburg, l’insurrection s’était effondrée. Le comité de réformes n’avait osé avouer le désastre de Krügersdorp qu’à 9 heures du soir, bien qu’il le sût depuis midi et que le bruit commençât déjà à en circuler dans la ville. Il avait prétendu d’abord que le docteur Jameson s’était rendu à la proclamation du Haut Commissaire qui lui interdisait de continuer son entreprise ; il fallut qu’un témoin oculaire arrivant du champ de bataille démentît cette fausse version et prouvât que les troupes de la compagnie à Charte avaient combattu tant qu’elles avaient en de l’espoir. La foule furieuse demandait pourquoi on ne marchait pas au moins pour le délivrer. Un moment, elle sembla vouloir envahir le bâtiment où siégeait le comité. Mais tout se calma ; un morne découragement succéda à l’excitation des jours précédens. Les troupes improvisées manœuvraient encore dans les environs, mais au milieu de l’indifférence universelle ; les brillans cavaliers avaient disparu. C’était bien la peine, en vérité, d’avoir hué les mineurs cornouaillais qui étaient partis en masse, les wagons qu’ils occupaient couverts de l’inscription Coward’s Van, wagon des lâches, pour ne pas se montrer plus courageux qu’eux. Cette fin lamentable excita l’indignation de toute l’Afrique du Sud. À Natal, à Capetown, des meetings furent tenus dans lesquels on décida de télégraphier au Haut Commissaire en route pour Pretoria de s’interposer en faveur de Jameson et de considérer sa mise en liberté comme plus importante qu’aucune satisfaction accordée aux uitlanders ; le nom de Jameson fut acclamé tandis que celui de Johannesburg était salué de groans, de ces grognement signe de réprobation habituel aux réunions anglaises.

Quand le gouverneur du Cap, sir Hercules Robinson, arriva à Pretoria, ce fut en effet tout ce qu’il put obtenir du président. Il avait vu, en traversant l’État libre d’Orange, de l’artillerie et une troupe de 2 000 hommes appelés aux armes par le gouvernement pour venir au secours de la république sœur du Transvaal, et il se rendit compte que la situation de. Johannesburg était désespérée. Il envoya son secrétaire pour engager les insurgés à se soumettre aux conditions du président, qui exigeait avant toute chose la reddition des armes. Un grand meeting fut tenu le 7 janvier où l’on décida d’accepter l’ultimatum du gouvernement.