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de ce que pouvait être la guerre, et plus d’un aurait sans doute fait piètre contenance au feu, si sa monture et lui n’eussent pas succombé à la fatigue avant même d’y arriver. Les femmes aussi s’étaient mises de la partie et avaient constitué un corps d’infirmières, heureuses de se faire voir tout de blanc vêtues. Chaque jour paraissaient dans les journaux des notes annonçant que tout était prêt pour la défense de la ville, les points importans des environs occupés, enfin que « toutes les mesures que pouvaient enseigner la stratégie et l’art militaire étaient prises » ; nul ne songeait à se demander où les heureux spéculateurs, membres du comité de réformes, avaient appris ces sciences compliquées.

Lorsqu’on connut à Johannesburg, le 30 décembre au soir, l’entrée dans le Transvaal du Dr Jameson avec 700 hommes de troupes exercées, au service de la compagnie à Charte, nul ne douta plus du succès de l’insurrection. « Mais pourtant, disaient quelques sceptiques, les Boers existent encore, ils ne laisseront pas ainsi passer Jameson, sans essayer de l’arrêter, sans se battre. — Les Boers, répondait-on, ils sont dégénérés, ce ne sont plus les hommes d’il y a quinze ans ; puis, ils ont été surpris et d’ailleurs nous avons acheté tous les chefs ; ils ne se battront pas. » Des centaines de personnes stationnaient sans cesse devant le bâtiment des Consolidated Goldfields où siégeait le comité, et dont un membre paraissait de temps en temps à la fenêtre, pour prononcer quelques paroles applaudies de confiance et donner des nouvelles de l’avance de Jameson. Le 1er janvier au soir, on annonça qu’il était près de Krügersdorp, à trente kilomètres de Johannesburg, où les Boers avaient en vain essayé de l’arrêter, et qu’il serait à Johannesburg le lendemain vers midi. Le 2 dans la matinée, la ville semblait en fête : à tous les balcons, à toutes les fenêtres voisines du siège du comité, des femmes en toilette claire attendaient l’arrivée des vainqueurs ; on faisait des préparatifs pour une illumination. On répandait des nouvelles fantaisistes sur l’avance de Jameson. Il est à Roodeport, disait-on ; il est à Langlaagte, annonçait-on un peu plus tard ; et l’on prétendait même vous montrer dans une lorgnette des troupes d’hommes armés sur les collines à l’ouest de Johannesburg, par où il devait arriver ; d’autres disaient qu’il était au champ de courses, au sud de la ville. C’était une excitation fiévreuse : on dépêcha un landau à sa rencontre ; à midi un membre du comité déclarait que la soupe était prête, pour restaurer ses hommes fatigués aussitôt qu’ils arriveraient.

Quelques minutes plus tard, le comité de réformes apprenait le désastre de Krügersdorp et la capture par les Boers de toute la troupe de Jameson avec armes et bagages. Il n’osa d’abord