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des deux langues dans les écoles, des réformes judiciaires et administratives, et l’abrogation de la loi qui réserve l’éligibilité aux seuls protestans. L’énumération de ces réclamations était suivie de cette phrase qui terminait le manifeste : « Voilà ce que nous voulons. Il reste à résoudre la question qui vous sera posée le 6 janvier : « Comment l’obtiendrons-nous ? » C’est à cette question que j’attends de vous une réponse nette, conforme a votre opinion réfléchie. »

C’était une menace d’insurrection : non déguisée : on jugera de l’état d’esprit de la partie exaltée des uitlanders si l’on sait qu’un journal de Johannesburg regrettait la « modération » de cet appel. Malgré tout, le 28, tout le monde se rendit aux courses : aucune préoccupation politique n’aurait pu empêcher la population d’assister à son délassement favori. Mais le soir le train partant pour le Cap fut envahi : plus de 2 000 personnes, surtout des femmes et des enfans, voulaient partir aussitôt. Pendant toute la semaine suivante on put voir, à la gare de Johannesburg, me foule de femmes et d’enfans assis sur leurs bagages des midi pour attendre le train du Cap qui ne partait qu’à dix heures du soir ; quoiqu’on eût doublé, triplé le nombre des trains, il était à peine possible de faire partir tout le monde, et des femmes furent plusieurs fois réduites à s’entasser dans des wagons à bestiaux découverts, les voitures a voyageurs manquant. De toutes les mines des environs, les familles des employés affluaient à Johannesburg pour en repartir le plus rapidement qu’elles pouvaient ; on dut leur organiser des gîtes tant bien que mal dans les bureaux de diverses compagnies.

A partir du lundi 30 décembre, tout le mouvement des affaires, fort ralenti déjà depuis le milieu du mois, fut arrêté à Johannesburg. Le Comité de réformes, composé d’environ vingt — cinq personnes parmi lesquelles M. Lionel Phillips, le colonel Rhodes, frère du premier ministre du Cap, M. Léonard, président de l’Union nationale et les représentans de presque toutes les grandes maisons financières et siégeant dans l’hôtel des Consolidated Goldfields of South Africa, dont M. Cecil Rhodes est le directeur, fut, à partir de ce jour, la seule autorité reconnue à Johannesburg. Dès le 30 on distribua des fusils au siège du comité et l’on y amena, après les avoir triomphalement promenés dans les rues, trois canons Maxim frauduleusement introduits, cachés dans des chaudières. La plupart des mines avaient aussi fait venir des fusils, dissimulés de toute manière et surtout dans des pianos ; dans plusieurs d’entre elles, le personnel fut forcé de prendre les armes, sous peine de renvoi ; on demandait d’abord aux mineurs s’ils consentaient à défendre, au besoin par les armes, les propriétés