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joie, et beaucoup d’entre eux avec consternation, la découverte des mines d’or sur leur territoire et l’invasion d’immigrans qui s’est précipitée vers le Witwatersrand. Après avoir mis entre eux et les villes de la côte méridionale des centaines de lieues de déserts, ils espéraient pouvoir être enfin chez eux et vivre tranquilles et isolés dans la république rustique qu’ils avaient établie sur ces hauts plateaux. Un moment ils pensèrent à émigrer de nouveau vers le Mashonaland et le Matabeleland entre le Limpopo et le Zambèze ; mais l’Angleterre prétendait à la souveraineté sur ces territoires et leur avait imposé un traité qui leur interdisait d’étendre leurs limites au nord et à l’ouest. Ce qui augmentait encore leur défiance contre les nouveaux venus, en majorité Anglais, c’est que la Grande-Bretagne avait toujours cherché à leur ravir leur indépendance ; une première fois, il y a cinquante ans, lors de la grande émigration des Boers, elle avait prétendu étendre sa souveraineté jusqu’au 25° degré de latitude, mis à prix la tête de leur chef, Pretorius, devant sa résistance, et ne s’était décidée à reconnaître leur indépendance qu’en 1852 ; une seconde fois en 1877, elle avait brutalement annexé le Transvaal, profitant des discordes intestines où il était plongé et de la pénurie du Trésor à la suite de guerres pénibles contre les Cafres ; elle avait même refusé aux Boers, malgré ses promesses, des institutions parlementaires ; elle n’avait enfin reconnu de nouveau leur indépendance qu’après une guerre marquée par de constantes défaites des troupes britanniques et terminée par le désastre de Majuba où 400 Anglais, commandés par le général Colley, furent écrasés par les Boers, 100 hommes, dont le général, tués, et presque tout le reste pris. La défiance était légitime après de pareilles et aussi récentes expériences.

Il aurait été de bonne politique, de la part des immigrans anglais, s’ils voulaient vivre en bonne harmonie avec les Boers, de chercher à calmer leurs suspicions et à les convaincre qu’ils ne voulaient pas attenter à leur indépendance. Ils n’en firent rien ; au contraire les journaux de Johannesburg ne cessaient de vilipender M. Gladstone pour avoir, contraint et forcé d’ailleurs, restitué le Transvaal aux Boers ; il ne se tenait pas un meeting sans qu’on entonnât le chant chauvin de Rule Britannia, pas une réunion sans qu’on réclamât à la fin le God save the Queen, qu’on écoutait debout, tandis qu’on affectait de ne prêter aucune attention à l’hymne national du Transvaal, pas un banquet où il n’y eût des discussions sur la priorité des toasts portés à la reine et au président. Ce sont là de petits incidens, mais qui entretenaient. sans cesse la méfiance des Boers. Enfin plus récemment se produisit une manifestation plus grave : lors d’une visite au Transvaal