est la rue des boutiques, des magasins de détail. En m’y promenant, la veille de Noël, et voyant la foule se presser devant les étalages éclairés à l’électricité des marchands de jouets, de meubles, des bijoutiers, des modistes, où étaient exposées les dernières « créations » de la mode européenne, j’avais peine à imaginer que dix ans auparavant il n’y avait, à la place où se trouve aujourd’hui cette ville de 80 000 habitans d’une activité fiévreuse, que des pâturages sans limite et de si peu de valeur qu’une ferme de 2 000 hectares changeait de mains pour un attelage de 16 bœufs, soit pour moins de 4 000 francs, alors que des terrains viennent de s’y vendre 500 francs le mètre carré. C’est l’attrait de l’or qui a créé tout cela, et si on l’oubliait un instant, on n’aurait qu’à jeter un coup d’œil dans l’une des rues perpendiculaires, à l’extrémité de laquelle un entassement de tailíngs (résidus de broyage), aussi haut que les maisons avoisinantes, rappellerait que c’est aux mines d’or que Johannesburg doit sa naissance.
Elle s’élève immédiatement au nord de l’affleurement des lits de conglomérat aurifères : les mines de Worcester, de Ferreira, Wemmer, Salisbury, Jubilee, City and Subuchan touchent la ville et limitent absolument son développement vers le sud. Mais des autres côtés elle s’étend indéfiniment en faubourgs : à l’est et au nord-est sont Jeppes-Town et Doornfontein, sur les collines : là sont les habitations particulières des gens riches et aisés qui, conformément à l’habitude anglo-saxonne, se logent en dehors de la ville proprement dite. Elles sont le plus souvent construites dans le style des pays chauds, avec des vérandas et des balcons couverts, parfois meublées avec le plus grand luxe, et entourées de jardins. Malheureusement il n’est pas aussi facile de faire grandir un arbre que de construire une ville : l’unique ombrage dont on jouisse est celui que donne parcimonieusement le maigre et triste feuillage de l’eucalyptus. Cet arbre raide et peu gracieux est le seul dont la croissance soit assez rapide pour suivre celle d’une telle ville : c’est par excellence l’arbre des pays neufs ; aussi est-ce lui qui fait l’ornement des parcs, encore quelque peu dans l’enfance, et plusieurs compagnies minières en ont fait de grandes plantations. Les quartiers de l’ouest et du nord-ouest ont encore le caractère du Johannesburg primitif avec leurs petites maisons de tôle ; là sont confinés, par mesure administrative, les gens de couleur, Hindous et noirs, qu’on ne doit plus voir dans les autres parties de la ville après la tombée de la nuit.
Ce qu’il y a de plus extraordinaire dans cette ville, c’est qu’elle est née et s’est développée jusqu’à la fin de 1892 sans avoir aucun moyen de communication moderne. Il a fallu tout transporter dans des chars à bœufs, de Natal ou de Kimberley, où s’arrêtait