parce qu’ils ne trouvent plus d’herbe ; les bêtes féroces, en les dévorant, mettent fin à leurs souffrances ; sans les carnivores, toute végétation serait ravagée et les déserts agrandis n’offriraient plus qu’une nourriture insuffisante au monde animal.
Quant aux êtres qui vivent des produits de la végétation, ils n’ont pu se détruire beaucoup les uns les autres ; car, sauf pour leurs amours, ils n’ont guère eu de sujets de querelles, leur alimentation étant fort variée. Pikermi est une des régions où l’on a observé le plus grand rassemblement de mammifères fossiles sur un espace restreint ; cependant, comme je l’ai expliqué dans mon ouvrage sur l’Attique, les différences de régimes étaient si bien graduées, que chaque genre trouvait son bien sans avoir à envier celui de ses voisins. Au commencement du Tertiaire, les ongulés étaient surtout des omnivores, c’est-à-dire des animaux mangeant de tout et par conséquent si faciles à nourrir qu’ils n’avaient pas besoin de changer de place. Quand ils se multiplièrent et que la plupart d’entre eux devinrent des herbivores, la lutte pour la vie aurait pu être terrible. Mais alors ils devinrent rapides à la course ; tandis que les créatures des temps primaires trouvaient leur salut dans la coquille ou la cuirasse qui les recouvrait, celles de la fin de l’ère tertiaire et de notre époque cherchent le plus souvent leur salut dans la fuite.
On a dit que les êtres des divers âges géologiques ont engagé des luttes où les plus forts ont vaincu les plus faibles, de sorte que le champ de bataille est resté aux mieux doués ; le progrès serait la résultante des combats et des souffrances du temps passé. Telle n’est pas l’idée qui ressort de l’étude de la paléontologie. L’histoire du monde animé nous montre une évolution où tout est combiné comme dans les successives transformations d’une graine qui devient un arbre magnifique couvert de fleurs et de fruits, ou d’un œuf qui se change en une créature compliquée et charmante. Le têtard est certainement très inférieur au crapaud adulte qui se promène sur la terre ferme ; mais il est bien constitué pour remplir ses humbles fonctions de têtard ; grâce à ses branchies, il respire dans l’eau ; sa queue aide ses mouvemens aquatiques ; ses longs intestins conviennent à son régime herbivore. Ainsi en a-t-il été des êtres anciens, leurs fonctions étaient moins élevées, mais leurs organes étaient en rapport avec leurs fonctions : tout était bien ordonné. Il ne faut pas croire que l’ordre soit sorti du désordre ; le monde géologique n’a pas été un théâtre de carnages, mais un théâtre majestueux et tranquille.
Cette manière de concevoir la vieille nature donnera des déceptions à quelques personnes. Lorsque la théorie des soulèvemens