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étrangers, et si le plus souvent ils ne sont pas complètement indépendans de l’action, les liens qui les y rattachent sont en général trop lâches pour qu’ils fassent corps avec elle. Tout leur effet est en eux-mêmes ; ils sont avant tout destinés à charmer le public pendant les intervalles des scènes. De là aussi le caractère qu’Euripide donna aux monodies, c’est-à-dire aux chants isolés des personnages. On sait que ce fut la une de ses principales innovations et un des principaux griefs d’Aristophane.

La composition musicale était la moitié d’une tragédie grecque, et c’est ce qui empêchera toujours les modernes de comprendre tout à fait Euripide et ses émules. Dans les efforts que l’on a faits pour se figurer ce que devait être une représentation tragique au théâtre de Bacchus, on a quelquefois parlé de nos opéras. L’assimilation ne manque pas de vraisemblance sur plus d’un point. Et en effet, l’opéra, tel qu’il est ou qu’il doit être, se distingue entre toutes les représentations dramatiques parce qu’il réunit la plus grande variété de moyens d’expression et d’effets. Plus que le drame ordinaire, il use des effets de spectacle : les machines, les décors, les costumes, le groupement des personnages et les danses servent à charmer et à éblouir les yeux. Comme le drame ordinaire, il intéresse par les caractères et par les situations. Mais le tout est subordonné à l’effet musical. C’est la musique, dont tout cet appareil extérieur n’est que le cadre et le commentaire visible, qui donne le sens et l’expression. Les situations et les caractères ne sont qu’indiqués par le livret : c’est elle qui anime et qui développe, tout en parlant aussi aux sens des spectateurs, et avec quelle éloquence forte et insinuante dans ses formes à la fois précises et indéfinies !

Il y a quelque chose d’analogue dans la tragédie grecque, et surtout dans la tragédie d’Euripide. Bien entendu, il faut mettre à part la valeur des poètes, qui est hors de toute proportion avec celle des librettistes ; mais la jouissance que la tragédie grecque procurait à son public était souvent un plaisir de spectacle et un plaisir musical plus qu’un plaisir intellectuel. Déjà on pourrait presque dire que les tirades, en particulier chez Euripide. sont comme des airs de bravoure dont l’effet est à peu près indépendant de la valeur des personnages. Ceux-ci, par exemple les tyrans, paraissent d’ailleurs assez inconsistans, ou n’ont qu’une vie bien incomplète ; ce ne sont guère que des motifs à couplets. Mais ce sont surtout les scènes lyriques qui font penser à nos opéras. on y trouve, dans une composition plus compliquée et plus savante, des soli, des duos, des trios, des chœurs : la plastique, la musique, la danse, y ont un rôle considérable. A ces parties s’attache un intérêt d’un genre particulier ; elles ont