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de plus, il veut le relever. C’est ce qu’il fait, soit en proclamant qu’il y a des esclaves qui sont supérieurs à des hommes libres, soit en donnant dans ses pièces à certains d’entre eux des caractères et leur méritent le respect, ou même par exemple, dans l’Electre, en leur attribuant des rôles où leur intelligence et leur activité sont les ressorts du drame. Il y a là plus qu’un effet de la douceur relative des mœurs athéniennes à l’égard des esclaves ; c’est le souci personnel du poète qui paraît dans les idées qu’il exprime et dans sa composition dramatique.

Un poète aussi attentif aux faits de la vie réelle ne pouvait pas rester indifférent aux intérêts généraux et à l’état de son pays. La poésie d’ailleurs, surtout la poésie dramatique, si intimement mêlée à la vie des Athéniens, ne séparait pas le poète de la cité et ne créait pas pour lui une sorte d’isolement littéraire. On a souvent rappelé qu’Eschyle combattait avec ses concitoyens à Marathon et à Platée ; il soutenait jusque sur la scène son parti politique. Sophocle, plus renferme dans son art, n’en exerça pas moins des fonctions importantes ; les plus hautes du pouvoir exécutif, celles de stratège, lui furent confiées deux fois. Euripide ne prit pas une part aussi active aux affaires d’Athènes ; nous savons que c’était un méditatif ; mais son patriotisme se montra dans ses œuvres. Les légendes attiques y tinrent une plus grande place que dans celles d’Eschyle et de Sophocle. Il est vrai que cela s’explique en partie par le besoin de renouveler la matière tragique et par la tentation, alors de plus en plus puissante, d’employer ce moyen sur de plaire au public athénien. Mais, soit pas le choix de certains sujets, soit par l’expression de sentimens personnels que le poète à l’habitude d’introduire dans ses pièces, il prouve combien il est loin de se désintéresser de la politique.

Deux de ses tragédies, les Héraclides et les Suppliantes, qui ont entre elles des ressemblances frappantes, furent composées en vue de circonstances déterminées. M. Wilamowitz-Möllendorff a démontré que la représentation de la première était en rapport manifeste avec un fait de la première invasion de l’Attique par les Lacédémoniens dans la guerre du Péloponnèse, et devrait se placer peu de temps après l’année 430. On ne peut douter que les Suppliantes n’aient été comme une consécration dramatique de l’alliance avec Argos conclue par l’influence d’Alcibiade peu de temps après la paix de Nicias. Andromaque, donnée au commencement de cette même guerre du Péloponnèse, respire la haine de Sparte ; les Troyennes et Électre renferment des allusions à l’expédition de Sicile. Dans l’Hippolyte porte-couronne, les vers où est déplorée la mort du héros s’appliquaient évidemment, dans la pensée du poète et des spectateurs, à la mort