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roi Victor-Emmanuel. Ce n’était pas celle du cabinet anglais ni du prince Gortchacow. À tous nos efforts pour le déterminer à adopter une politique de médiation collective, il répondit que cette médiation, n’étant pas appuyée par une force armée, ne servirait qu’à irriter le vainqueur sans profit pour nous. L’objection avait sans doute quelque fondement, mais, en ce qui concernait la Russie, la vérité était celle dont parlait M. Thiers dans son télégramme du 1er octobre. La Russie, sous l’empire du mécontentement que lui avait causé la déclaration de guerre, avait pris envers la Prusse des engagemens qui rendaient en quelque sorte obligatoire pour les autres et pour elle-même la politique d’abstention. Ainsi, il avait été entendu entre les deux cabinets, au début de la guerre, que toute action isolée de l’Autriche en notre faveur devait avoir pour effet d’amener la Russie à une démonstration analogue et correspondante en faveur de la Prusse. Une pareille déclaration, notifiée à Vienne, devait nécessairement paralyser toute action éventuelle de l’Autriche et permettre à la Prusse de dégarnir entièrement ses frontières de Bohême pour porter toutes ses troupes en France. C’est principalement à ce service que l’empereur Guillaume faisait allusion dans un télégramme demeuré célèbre, lorsque, à la fin de la guerre, il tenait à remercier bien haut l’empereur Alexandre des services signalés qu’il lui avait rendus pendant cette époque. (Télégramme du 1er mars 1871. ) Il est certain qu’en prenant acte du concours moral qu’il avait trouvé dans la Russie, l’empereur d’Allemagne ne faisait que rendre hommage à la vérité. Il l’exagérait même à dessein, dans l’intention de faire croire à une solidarité plus grande entre les deux empires qu’elle ne l’a été réellement, ainsi que j’aurai l’occasion de le dire plus tard. Mais il n’en est pas moins vrai que c’était un service de premier ordre qui devait paralyser tous les efforts de la diplomatie française. La voie des notes collectives nous était dès lors fermée, la ligue des neutres impossible. — Nous ne pouvions plus espérer que dans l’action individuelle et personnelle de l’empereur Alexandre auprès de son oncle pour modérer nos vainqueurs. C’était bien quelque chose, et je crois pouvoir affirmer que les promesses qui nous ont été faites à plusieurs reprises ont été tenues. Mais au fond, au fur et à mesure que la lutte se poursuivait plus acharnée et plus implacable, que pouvaient des lettres et des télégrammes tombant au milieu de l’exaltation d’un vainqueur en armes sur notre territoire ? Rien peu de chose assurément. Aurait-on obtenu davantage, en présence de la rapidité foudroyante de nos désastres, d’une intervention diplomatique des puissances, même si elle avait été possible, et nous