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tandis que les hommes vivent au dehors, la femme, à côté des soins de la famille, cherche et trouve ses compensations et ses plaisirs : la parure dans les maisons riches, dans toutes les relations avec les voisines, le bavardage, la médisance, les petits complots. Cette contrainte à laquelle elle est soumise peut la disposer à la dissimulation et à la ruse, et elle aura des complices naturelles dans ses esclaves, qui sont constamment et intimement mêlées à sa vie. Une catégorie particulière, les orphelines héritières, qui transportent avec elles, comme un dépôt qu’elles tiennent de la nature et de l’État, la fortune, les droits et les charges d’une famille, montre quelquefois un caractère difficile et orgueilleux.

M. Decharme a réuni et souvent traduit les nombreux passages où Euripide a jugé à propos de transporter sur la scène tragique ces détails de la vie des femmes athéniennes. C’est un des chapitres les plus curieux de son livre. On y voit tout ce que cette matière avait fourni au poète : satires spirituelles, déclamations violentes ou bizarres, tableaux gracieux, ces différentes formes se succèdent pour exprimer sa pensée, qui est celle d’un Athénien malveillant. Le soin qu’il a pris de relever tous ces traits et d’exprimer ces jugemens défavorables, sans que ni le sujet ni l’action de ses drames l’y amenassent nécessairement, explique l’opinion qui, de son vivant, le représentait comme un ennemi des femmes. Et comme la chronologie de ses pièces fait voir que ces satires se répartissent sur toutes les dates connues de sa vie, on doit conclure qu’il y avait chez lui une disposition persistante à la sévérité. Mais, d’un autre côté, on ne saurait soutenir qu’il ait fermé les yeux aux qualités et aux mérites des femmes. Qui mieux que lui a senti le charme pur de la jeune fille ? Polyxène mourante dans son Hécube est un type de grâce fière et chaste. La femme dans la famille peut être pour lui l’épouse dévouée jusqu’au sacrifice de la vie, la mère tendre et adorée de toute sa maison : la figure noble et vraie d’Alceste réunit ces deux caractères. Dans un ordre inférieur, Andromaque, la veuve fidèle d’Hector, devient un type de soumission patiente à l’autorité et même de douce et complaisante résignation à l’inconstance du mari. Nous n’en demanderions pas autant aujourd’hui, et comme le remarque M. Decharme, il s’agit d’une épouse asiatique. Enfin les héroïnes d’Euripide sont capables des sentimens les plus élevés et des plus beaux dévouement. Son Iphigénie, qui apparaît d’abord sous les traits d’une victime, désolée et plaintive. est touchée tout à coup comme par la grâce. Elle sent l’aiguillon intérieur du patriotisme et de la gloire et elle marche à la mort la tête haute et transfigurée par l’inspiration. Pour avoir eu l’idée de cette belle péripétie, il faut bien qu’Euripide