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pas esclave. Quand son observation, si curieuse, se porte sur les conditions de la vie sociale, il faut conclure encore que, s’il y a chez lui un courant d’idées plus fort et plus sensible, il n’en voit pas moins bien les divers aspects du monde, qu’il examine et qu’il juge.

Cela est vrai surtout d’un sujet qui paraît avoir été une de ses principales préoccupations : le mariage et les femmes. On connaît les anecdotes recueillies ou plutôt inventées par la comédie contemporaine et par ses commentateurs sur Euripide lui-même et sur ses infortunes con jugales : les désordres de ses deux femmes, son indifférence philosophique ou sa vengeance quand, découvrant les infidélités de la première, il l’abandonne à son amant ; la double collaboration attribuée à son jeune esclave ou disciple Céphisophon ; enfin toute cette légende qui explique sa sévérité pour un sexe dont il avait tant à se plaindre. De là en partie sa tristesse ; de la aussi les représailles supposées des femmes, par exemple le complot des Thesmophories si spirituellement imaginé par Aristophane. La critique de M. Decharme montre l’inconsistance de ces traditions. On a dit aussi qu’Euripide n’avait dit trop de mal des femmes que parce qu’il les avait trop aimées. Nous n’en savons rien. Ce que nous pouvons faire et ce qui nous remet dans la réalité, c’est de chercher dans le détail avec M. Decharme comment les idées de ce juge peu indulgent sont en rapport avec les mœurs de la société athénienne, et comment il y puise les élémens de ses allégations et de ses peintures.

Il faut d’abord se rappeler à quel point l’idée que les Athéniens s’étaient faite primitivement du mariage déterminait encore, au temps de leur plus brillante civilisation, la condition de la femme mariée. Cette idée était subordonnée à leur conception de l’État, qu’ils considéraient comme une réunion de familles, dont chacune était nécessaire à la cité pour l’accomplissement des devoirs civiques et des devoirs religieux. Or la femme, en assurant par le mariage la perpétuité de la famille, assurait l’accomplissement de ces devoirs : a la cité elle donnait des fils légitimes, capables de suffire aux différentes charges ; aux ancêtres et aux dieux particuliers, patrons et protecteurs des familles, des dèmes, des tribus et de l’État, elle fournissait ceux qui pouvaient entretenir leur culte et contribuer ainsi au salut commun. Elle assurait enfin la pureté de la race, sans laquelle rien n’était conçu comme possible. Ces considérations avaient déterminé la condition de la femme, presque exclusivement attachée au foyer, réduite à une éducation élémentaire, étrangère aux applications élevées de l’intelligence et maintenue dans un état inférieur, le plus souvent renfermée dans la maison par une claustration presque orientale ; d’où les mœurs particulières du gynécée. Dans ce domaine, où elle est confinée