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grotte ouvrant sur la mer. qu’il s’est plu à peindre. Ajoutons à ces traits les dons de l’artiste et du poète, l’imagination et la sensibilité, qui l’ont mis au rang des premiers. À ce sujet, M. Decharme, dans un chapitre sur la vie et le caractère d’Euripide, rappelle et interprète ingénieusement un petit monument d’archéologie figurée :

Sur un camée appartenant à notre Cabinet des médailles, on croit voir Euripide à côté d’une Muse qui appuie familièrement le bras droit sur son épaule : tous deux se tiennent debout devant une Nymphe assise sur un rocher, à feutrée d’un lieu sacré. La Nymphe fait au poète et à la Muse un signe amical : elle semble les inviter à entrer dans la grotte, séjour divin, sanctuaire de l’inspiration poétique. »

Il n’est pas sûr que l’artiste ait songé à la grotte de Salamine ; mais il paraît certain que le penseur-poète a aimé la solitude et vivement senti le charme de la nature.


II

Un argument d’Euripide contre la réalité du gouvernement divin et même contre l’existence des dieux, c’est que le monde ne marche pas bien, c’est que le désordre et le mal y dominent. Il ne voit donc pas le monde en beau. Il est d’ailleurs par tempérament porté à la tristesse, ce qui l’incline aussi vers le pessimisme. Euripide est pessimiste. Telle est la conclusion de M. Decharme avec les raisonnemens qui paraissent l’y conduire ; et c’est pour cela qu’il commence son étude des idées morales d’Euripide par un chapitre sur le pessimisme du poète.

Il faut reconnaître d’abord, comme il le fait, que la tragédie en général, par sa nature même et par celle des légendes qu’elle traite, ne se prête guère à l’expression de l’optimisme. Rien de plus inexact, à cet égard, que la théorie qui fait du Grec un enfant insouciant et gai. sur lequel glissent de légères impressions, eu opposition avec le Sémite et l’homme du Nord, qui seuls ont le sentiment profond des tristesses et des mystères de la vie. Y a-t-il en Grèce une seule légende où l’homme soit libre et heureux ? La liberté du héros grec est en lui ; elle est dans son énergie et dans sa noblesse ; et il ne connaît guère d’autre bonheur que la jouissance de cette énergie et l’exercice de ses brillantes facultés. Une puissance attachée à réprimer chez l’homme toute supériorité, qui, pour un manquement aux obligations religieuses plus souvent qu’à la loi morale, le frappe cruellement dans son corps et dans son âme ; l’expiation du crime par le crime, la responsabilité étendue à la famille et à la cité et une hérédité funeste