cette matière religieuse ; il la combinait et la modelait à sa façon. Son Hippolyte en est la preuve la plus frappante ; mais arrêtons-nous d’abord sur le second des textes qui ont été annoncés plus haut, sorte de prière orphique qui contient l’essentiel de la doctrine théologique et morale :
A toi, souverain ordonnateur, j’apporte cette offrande et cette libation, à toi, Zeus ou Hadès, suivant le nom que tu préfères ; accepte ce sacrifice sans feu, ces fruits de toute sorte offerts à pleines corbeilles. C’est toi qui parmi les dieux du ciel tiens dans ta main le sceptre de Zeus, et c’est toi aussi qui dans les enfers partages le trône d’Hadès. Envoie la lumière de l’âme aux hommes qui veulent apprendre les épreuves de leur destinée mortelle, révèle-leur dès maintenant d’où ils sont venus, quelle est la racine des maux, laquelle des divinités bienheureuses ils doivent se concilier par des sacrifices pour obtenir le repos de leurs souffrances. »
Il est douteux qu’aucun prêtre ou aucun initié ait jamais adressé à un dieu quelconque de la Grèce une semblable prière ; aucun n’a demandé « la lumière de l’âme » ; mais le caractère orphique est ici fortement imprimé. C’est une glorification du dieu de l’orphisme, Zagreus, représenté comme un autre Zeus et un autre Hadès, c’est-à-dire comme le dieu de la vie dans le monde supérieur et dans le monde inférieur, de la vie universelle, et comme celui qui donne la paix à l’âme humaine. Il est l’unique et grande divinité bienfaitrice.
Voilà l’orphisme sous son aspect le plus beau. Hippolyte porte couronne, la pièce qu’il paraît avoir inspirée de ce qu’il avait en lui de plus élevé et de plus délicat, nous donne aussi en quelques vers l’expression nette des répugnances et des défiances dont il était l’objet. Thésée dit à son fils :
Va maintenant te glorifier de ta pureté ; interdis-toi, par une affectation hypocrite, la chair des animaux ; sanctifié par Bacchus, proclame Orphée pour ton maître et pare-toi de la science de tous ses livres, vaine fumée. »
Ces choses-là se disaient couramment à Athènes ; mais les Athéniens qui les entendaient répéter au théâtre connaissaient l’innocence d’Hippolyte, et, à ce moment du drame. ils avaient dans l’esprit l’image noble et pure à laquelle l’art délicat du poète avait su donner une réalité si originale. Ce que je veux ici faire remarquer, c’est d’abord que la sympathie d’Euripide pour l’orphique qu’il a mis sur la scène n’est pas douteuse ; c’est ensuite que cet orphique est un composé de son invention. En effet, la divinité qu’adore Hippolyte est d’une espèce toute particulière ;