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renaître immédiatement d’une manière très naturelle. Mais je n’ai rien voulu dire sans m’être entendu avec les gouvernemens de Tours et de Paris. Pour ne pas laisser perdre une occasion si précieuse, on a tout préparé, et sur un télégramme que j’expédierai, les premières démarches partiront de Saint-Pétersbourg. Cette situation me décide à partir immédiatement et à marcher sans relâche. Je ne pourrai cependant pas, sans une grave inconvenance, négliger Vienne et l’empereur d’Autriche et ne pas toucher à Florence, où le roi Victor-Emmanuel m’a convié d’aller. Il n’y aura pas de temps perdu, si vous m’envoyez à Livourne ou à Gênes un bâtiment à vapeur qui n’a besoin que d’être un bon marcheur. Je débarquerai à Marseille et je pourrai être à Tours le 14 ou le 15. Faites-moi savoir à Vienne ou à Florence où en est la situation.

« Signé : A. THIERS. »


On sait le reste et comment cette négociation, qui aurait pu amener quelques résultats utiles demeura infructueuse. M. Thiers a cru de son devoir de publier dans un mémoire qu’il adressa alors aux représentans des puissances étrangères à Paris les causes qui l’avaient rendue stérile. Il a bien fait, car il était bon que l’on sût pourquoi l’on devait se battre encore et à qui en remontait la responsabilité. Ce qui est moins connu, c’est l’altitude des puissances neutres à notre égard et les raisons de leur attitude. Je voudrais essayer d’en dire ici quelques mots.


III. — LA LIGUE DES PUISSANCES NEUTRES

La situation de l’Europe vis-à-vis de la France envahie ne pouvait être la même en 1870 qu’au moment de la chute du premier Empire.. Lorsque, en 1814, les armées alliées pénétrèrent sur notre territoire, on put voir promptement que le mode d’occupation était différent, suivant la nation dont l’armée représentait les intérêts et les passions. Aussi le but de la coalition une fois atteint par le renversement de l’empereur, la reprise de toutes ses conquêtes et le payement d’une indemnité de guerre, le principe des revendications territoriales n’apparaissait pas à la majorité des vainqueurs comme un programme imposé en quelque sorte par les haines nationales. Il était possible, dès lors, de traiter dans des conditions moins onéreuses pour le pays, et la France put espérer rentrer dans les anciennes limites de la monarchie. Elle y eût même, comme on le sait, gagné quelque chose de plus, sans les Cent-Jours et la bataille de Waterloo. Ce ne fut pas