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par quelque effet des circonstances, cette paix pût être débattue entre les puissances et alors on la ferait tourner en notre faveur. On voudrait aussi un succès de nos armes pour répondre à la Prusse qui se plaint qu’on lui dispute le fruit de sa victoire et j’ai la certitude que la durée de la résistance de Paris pourra exercer une réelle influence. Tel est l’état des choses, et j’ai fait pour l’améliorer tout ce qui était humainement possible. Si je n’étais impatient de me retrouver auprès de vous dans ce moment de danger, j’essaierais de rester à Saint-Pétersbourg pour continuer mes efforts, mais je ne puis résister à l’idée de demeurer éloigné pendant que le pays est dans les angoisses. Mardi, après diverses entrevues et de nouvelles tentatives dont j’espère un résultat, je repartirai. Je ne pourrai pas rester moins de trois jours à Vienne pourvoir l’empereur d’Autriche, que j’ai l’honneur de connaître et auquel ma visite est annoncée ; après quoi, sur le désir du roi d’Italie, j’irai passer deux jours à Florence où il y a quelque chose d’utile à faire, et sans un jour de retard, j’irai vous joindre à Tours pour mettre toutes mes facultés à la disposition de notre cher et malheureux pays.

« Signé : A. THIERS. »


Etant à Tsarkoë Selo, je n’eus connaissance de ce télégramme chiffré qu’après son expédition de Pétersbourg d’où M. Thiers l’envoya après son entrevue avec l’empereur au Palais d’Hiver. Je vis bien qu’il se faisait des illusions sur le concours que nous pouvions attendre de la Russie. Il me permit de le lui dire. L’accueil très flatteur dont il était l’objet l’autorisait à concevoir des espérances qui ne pouvaient se réaliser, car cet accueil malheureusement était surtout personnel. M. Thiers était l’intérêt du moment. Tout le monde désirait le voir. On admirait la fermeté et l’énergie avec laquelle un homme de son âge venait plaider les intérêts de son pays malheureux. Son patriotisme avait une ardeur communicative. Pendant un dîner à Tsarkoë-Selo, où j’avais réuni avec M. Thiers le baron Jomini et les principaux membres du corps diplomatique accrédités à Saint-Pétersbourg, qu’il m’avait exprimé le désir de connaître, quelqu’un, croyant bien dire, se mit, pour expliquer nos désastres, à parler des grandes masses de troupes et de la loi du nombre qui s’imposait aujourd’hui comme une loi de la nécessité. « Vous pardonnerez, dit M. Thiers à son interlocuteur, à des vaincus de conserver encore quelque orgueil, mais je m’en tiens à ma vieille loi de 1832 du maréchal Gouvion Saint-Cyr, et j’ai la présomption de