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ont fait autrefois partie du Cambodge, étaient restées l’objet de ses ardentes revendications, et qu’un des objectifs de notre politique était de les ramener un jour sous son hégémonie. Le traité de Bangkok laissait pendantes la plupart des questions que la brusquerie de notre action militaire n’avait même pas permis de poser.

L’arrangement conclu le 15 janvier avec l’Angleterre en prépare, au contraire, la solution et la rend aisée. Le gouvernement anglais a compris, comme nous-mêmes, qu’il était temps de fixer les limites des sphères d’influence dans lesquelles l’action de chacun des deux pays pourrait s’exercer sans rencontrer la concurrence ou l’opposition de l’autre. Il a fallu pour cela déterminer d’abord les limites véritables du Siam, ce qui était une tâche très difficile politiquement, très facile géographiquement : aussi a-t-on pris le second système. Le Siam s’est artificiellement étendu à l’Est, quelquefois jusqu’au Mékong, et même au delà avant le traité de 1893. Il fallait le ramener à ses frontières naturelles, qui sont les vallées du Ménam et des autres rivières dont l’embouchure est voisine de celle du Ménam. C’est ce qui a été fait. La France et l’Angleterre se sont mutuellement engagées à ne faire pénétrer, dans aucun cas et sous aucun prétexte, sans le consentement l’une de l’autre, leurs forces armées dans la région ainsi définie, et de n’y acquérir aucun privilège ou avantage politique dont le bénéfice ne leur serait pas commun. En d’autres termes, c’est la neutralisation militaire, politique et économique du Siam. On a dit que le Siam devenait un État-tampon entre l’Angleterre et nous, et nous n’y contredisons pas ; mais il y a une grande différence entre l’État-tampon qu’on nous proposait de créer de toutes pièces sur le haut Mékong, et le Siam, qui est un État préexistant, avec un gouvernement établi, œuvre déjà ancienne de la politique et de la nature, et qu’il est d’ailleurs, au moins pour le moment, plus facile de respecter que de détruire. Nous aurons assez à faire pour nous assimiler les immenses régions qui nous sont concédées, à l’est d’une ligne tracée depuis le golfe de Bangkok jusqu’au Mékong à la hauteur de Xieng-Kong. Ces territoires comprennent Chantaboum, Angkor et Battambang : un des objets principaux que se proposait notre diplomatie depuis tant d’années est donc atteint, ou le sera bientôt, l’Angleterre n’y mettant plus d’obstacle. Nous lui reconnaissons, nous, en échange la presqu’île de Malacca. C’est là sans doute un territoire très important, soit par lui-même, soit par sa situation maritime ; mais l’Angleterre, depuis un siècle, s’en est peu à peu emparée, et nous ne faisons au total que lui abandonner ce qu’elle occupe déjà. Peut-être ne pourrait-on pas en dire autant de tout ce qui nous est adjugé. Reste à savoir dans quelles conditions s’exercera l’influence de l’Angleterre et de la France dans les régions où elles l’ont établie, et dans quelle mesure, sous quelle forme, pendant combien d’années la souveraineté nominale du Siam y sera respectée. Ce sont là les questions