Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais personnels, non, et c’est là une grande différence. M. Bourgeois annonce, à la vérité, que le nouvel impôt sera « personnel sans inquisition. » S’il en est ainsi, nous commencerons à croire que la quadrature du cercle n’est peut-être pas un problème aussi insoluble qu’on l’avait cru jusqu’à ce jour.

Mais la partie la plus inquiétante du discours de Lyon, et en même temps la plus vague, est celle que M. le Président du Conseil a consacrée à ses vues sur le meilleur système fiscal. Le socialisme le plus pur l’a évidemment inspirée, et on ne comprend pas très bien, après l’avoir lue, pourquoi M. Léon Bourgeois voulait, il n’y a pas longtemps encore, exclure les socialistes de sa majorité. Aujourd’hui, il n’exclut personne. Il déclare qu’il accepte indifféremment tous les concours, que les hommes à ses yeux ne sont rien, que les idées sont tout, et qu’il éprouvera la même satisfaction d’être approuvé un jour par M. Jaurès et le lendemain par M. Deschanel. On a vu de très grands hommes procéder ainsi, M. de Bismarck par exemple, mais ils n’étaient pas précisément des parlementaires, et ils avaient pour principal souci bien moins de se créer un parti solide et consistant, que d’échapper à tous les partis et de se tenir au-dessus d’eux. Ils ont regretté peut-être au moment de leur chute d’avoir été trop heureux dans la réalisation de ce plan politique. La formule de M. Bourgeois n’est même pas celle de la concentration, c’est celle de la désagrégation parlementaire. On peut en vivre pendant quelque temps, à la condition de ne laisser après soi que la confusion et le chaos. Elle est moins dangereuse dans les pays comme l’Allemagne où, en dehors de l’opinion et des partis qui la représentent, il y a une autorité préexistante, puissante et autonome : en France, elle ne peut avoir pour effet que d’empêcher la constitution des deux partis que M. Bourgeois regarde comme nécessaires au bon fonctionnement de nos institutions, mais qu’il qualifie d’ailleurs fort mal lorsqu’il assure que l’un regarde nécessairement l’avenir et l’autre le passé, et que celui-ci est l’ennemi du progrès dont celui-là est le défenseur attitré. Quoi qu’il en soit, nous rendons à M. le Président du Conseil la justice que s’il témoigne d’un parfait dédain sur la composition de sa majorité, il ne fait rien pour y faire entrer les modérés. C’est bien du côté de M. Jaurès et de ses amis qu’il se tourne, lorsqu’il présente l’impôt, entre les mains de l’État qui le prélève, non pas comme la contre-partie des charges du gouvernement, mais comme un instrument propre à atténuer, sinon même supprimer les inégalités sociales. L’impôt. tel que le comprend M. Bourgeois, a pour objet principal de réformer la société. Il y a des gens trop riches, relativement à d’autres qui sont trop pauvres. S’il s’agissait seulement de venir au secours de ces derniers, de les relever, de les aider, d’adoucir pour eux dans la mesure du possible les aspérités de la vie, de leur assurer la liberté de